À qui profitent les guerres ? Quelles entreprises et quels pays profitent de cette industrie ? Que signifient les guerres dans la vie des femmes ? Comment faire face aux guerres, aux conflits militaires, aux sanctions et à l’impérialisme qui se matérialisent dans la vie quotidienne et dans les territoires des peuples de différentes parties du monde ? Quelles sont les relations entre le militarisme, le racisme, le patriarcat et le capitalisme ? Et comment construire une paix féministe et antisystémique ?
Il s’agit de quelques questions qui guident les actions et les réflexions de la Marche Mondiale des Femmes dans la lutte pour la paix et la démilitarisation. La lutte contre les guerres est un programme ancien qui traverse l’histoire des luttes des femmes. Pendant la Première Guerre mondiale, en février 1917, la demande de « pain et de paix » mobilisait les femmes et accélérait la révolution russe. Les luttes pour la libération sur le continent africain ont résisté à la violence militaire du colonialisme. Aujourd’hui encore, la lutte contre les guerres est une question urgente, et pas seulement lorsqu’elles impliquent des pays européens : la guerre est une réalité dans de nombreux territoires du Sud global, car c’est un outil impitoyable d’expansion et de renfort du système capitaliste.
Une journée d’action
Le 24 avril est une date marquée dans le calendrier de la Marche Mondiale des Femmes (MMM) comme la Journée de la solidarité féministe internationale contre le pouvoir des entreprises transnationales. La date rappelle les plus d’un millier de victimes de la chute de l’immeuble du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh. Le Rana Plaza était un complexe d’ateliers textiles précaires, où travaillaient principalement des femmes, dans un régime analogue à l’esclavage. Depuis, les familles se battent pour obtenir justice et des organisations dénoncent l’impunité des entreprises transnationales telles que Walmart, GAP et Zara, qui exportent et vendent les vêtements produits là-bas. Ce n’était pas un fait isolé, comme l’ont dénoncé nos compagnes du Maroc et des Philippines dans cette vidéo.
Les entreprises transnationales sont celles qui accumulent le plus de pouvoir et de richesse avec le conflit du capital contre la vie. L’offensive du pouvoir des entreprises avance sur le travail, les territoires et les corps des femmes en utilisant la militarisation comme instrument. Pour cette raison, en 2022, la Marche Mondiale des Femmes concentre son action contre le pouvoir des entreprises transnationales dans son agenda anti-guerre. Partout dans le monde, les féministes se mobiliseront dans les rues et les réseaux en dénonçant l’industrie de la guerre, les frontières, les accords de libre-échange, sanctions et blocus qui menacent « la souveraineté alimentaire, la santé et l’éducation, favorisant l’exploitation des biens communs et la crise climatique par le biais des sociétés transnationales, encourageant le trafic de drogue et d’êtres humains, le racisme et la xénophobie, déstabilisant politiquement et économiquement tout par où il passe », comme le stipule la déclaration de la MMM.
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Depuis son lancement, Capire a guidé ces thèmes et a cherché à les comprendre à partir des expériences des femmes qui vivent et se battent dans des territoires en conflit.
Nous publions des articles de militantes féministes de Cuba et du Venezuela sur les impacts de la guerre non conventionnelle et du blocus économique des États-Unis contre leurs pays. Nous avons interviewé nos compagnes du Sahara Occidental à propos des luttes anticoloniales contre l’occupation marocaine sur son territoire et la criminalisation des militantes telles que SultanaKhaya. La criminalisation des combattantes est également une réalité de pays tels que la Palestine, les Philippines, Myanmar, la Colombie et le Honduras, parmi tant d’autres. Selon la leader paysanne Nury Martinez, « la Colombie est totalement militarisée. Le pouvoir militaire joue un rôle important dans l’ensemble de l’Amérique latine, mais la Colombie joue un rôle particulièrement stratégique pour que les États-Unis interviennent au Venezuela et dans d’autres pays ».
D’autre part, le féminisme populaire s’est révélé être un outil de transformation et de résistance. La militante palestinienne RubaOdeh a déclaré dans une interview que « nous faisons de la lutte féministe une source primaire des luttes des peuples pour la libération ». Et KhitamSaafin, emprisonnée par les troupes israéliennes depuis 2020, a écrit : « Nous, les femmes palestiniennes, nous affrontons tout. Nous sommes plus fortes et nous sommes toutes unies contre le racisme et le colonialisme ». Quand on parle de démilitarisation, on parle de liberté pour Khitam et pour toutes les prisonnières et prisonniers politiques !
Les conflits liés à la terre et le militarisme vont de pair. Au Mozambique, par exemple, l’auto-organisation des femmes est la stratégie de défense contre la violation systématique de leur corps et l’usurpation de leurs terres. « Dans la province de Cabo Delgado, par exemple, il est connu que le gouvernement du Mozambique a scellé des contrats d’exploitation et de cession de terres à des sociétés transnationales. Pour cette raison, une grande partie de la population a quitté sa terre, fuyant les balles et étant obligée de couper les liens avec son lieu d’appartenance », nous a expliqué la militante Nzira Deus.
En cherchant un refuge dans d’autres endroits du monde, les personnes chassées de leurs territoires par les guerres sont confrontées à une militarisation matérialisée dans les clôtures, les murs et les frontières, ainsi qu’à travers la discrimination. « Aucun être humain n’est illégal », disent les militants/tes migrants/tes.
Avec les femmes en mouvement, nous avons appris que les conflits ne se produisent pas seulement quand ils passent à la télévision, bien au contraire. Le déroulement des guerres et leurs impacts continus font rarement l’objet de nouvelles dans les grands médias occidentaux. Ou alors, ils sortent rapidement des gros titres, comme nous l’avons vu avec l’Afghanistan après deux décennies d’occupation militaire américaine. Pendant ce temps, les attaques des talibans contre la vie des femmes se poursuivent et les résistances aussi, même si elles sont réduites au silence.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine suscite l’inquiétude et aussi l’urgence de remettre en question de manière critique la responsabilité de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) dans l’intensification des conflits. Le contrôle économique et militaire des États-Unis sur d’autres territoires est bien réel car c’est leur façon d’assurer un pouvoir impérialiste. L’impérialisme, malheureusement, n’appartient pas encore au passé – pas encore. Partout dans le monde, les femmes unissent leurs efforts pour construire un féminisme anti-impérialiste, comme l’exprime la galerie d’affiches Le féminisme anti-impérialiste pour changer le monde.
Lors d’une interview, la militante pacifiste Kate Hudson met en garde contre les dangers de la menace nucléaire dans cette guerre et a déclaré : « Nous voulons une négociation pacifique, un accord de sécurité commun pour la région, afin que chacun puisse vivre en paix. Sinon, cela peut conduire à une guerre nucléaire. Dans cette guerre, ce sont les gens ordinaires qui souffrent, les femmes, les enfants et les pauvres ».
La solution n’est pas « d’accroître la représentativité » au sein de l’OTAN, mais de la démanteler. « Une femme qui appuie sur le bouton nucléaire, ce n’est pas du féminisme », ont déclaré les femmes impliquées dans la construction du Sommet de la paix « Non à l’OTAN », qui se tiendra en juin.
La guerre permanente contre le peuple noir ravage des pays qui, en théorie, vivent en temps de paix. « Nous devons nous battre pour la démilitarisation de la vie et des corps, en mettant au centre du débat le droit au territoire. De cette manière, nous pouvons parler de changements véritablement radicaux et de transformation sociale », c’est ce que souligne Dara Sant’Anna, dans une réflexion sur la militarisation des favelas au Brésil.
Il y a une continuité entre les occupations et les interventions militaires dans les pays et l’avancement des sociétés transnationales sur les territoires. Le cas d’Haïti est emblématique : des décennies de mission des Nations Unies (ONU) ont été accompagnées et suivies de coups d’État et de projets politiques autoritaires, soutenus par les États-Unis, comme l’a dénoncé IslandaMircheline.
Nous partageons tous ces points de vue et récits d’expériences parce que nous comprenons que la construction d’une société exempte de violence, de guerres, de profit et de militarisation est une tâche féministe – une tâche des femmes qui soutiennent la vie, malgré tout, dans leurs communautés et lieux d’activité. Et quand nous manquons de mots, nous lisons, voyons et entendons la production de femmes qui unissent l’art et la politique dans les langues les plus variées. Al Khadra, Hanaa Malallah, Salka Embarek, Sofia Monsalve, Kishwar Naheed parmi tant d’autres, expliquent l’inexplicable, disent l’indicible, nous aident à traverser les conflits et à défendre la paix et la souveraineté des peuples.