Le 8 mars 2000, une journée dont il faut se souvenir

08/03/2023 |

Capire

Nous reprenons le lancement de la Marche Mondiale des Femmes et de son programme de lutte féministe internationaliste

« Le 8 mars 2000, Journée internationale [de la lutte] des Femmes, sera une date à retenir dans l’histoire du mouvement des femmes à travers le monde », ont annoncé des femmes du monde entier en février 2000. À cette époque, des militantes féministes de plus de 50 pays se préparaient au lancement de la Marche Mondiale des Femmes (MMF), un mouvement mondial de solidarité et de résistance des femmes contre le capitalisme et le patriarcat.

Le lancement de cette mobilisation du 8 mars exprimait une composante fondamentale du féminisme populaire : la dispute permanente du radicalisme, de la capacité de mobilisation massive des femmes et de la construction d’un programme d’action commun. Une telle organisation était une réaction à la mainmise des luttes des femmes par des acteurs hégémoniques, tels que les entreprises, les organisations multilatérales et les gouvernements, une tendance qui se renforçait depuis les années 1990.

Cette querelle est toujours d’actualité. Le 8 mars, partout dans le monde, les femmes revendiquent les rues et les espaces publics comme des espaces pour faire de la politique, pour s’organiser collectivement et pour exprimer l’irrévérence féministe. Et elles revendiquent que le féminisme est une lutte de femmes populaires, diverses et travailleuses, et non d’entreprises et d’institutions complices de l’exploitation, des guerres et des inégalités.

Nous reprenons le processus de lancement de la Marche Mondiale des Femmes dans les années 2000 comme une manière d’affirmer l’organisation collective, du niveau local au niveau international, comme une composante fondamentale du féminisme populaire.  

Organiser un féminisme populaire international

De nombruex préparatifs des différentes activités prévues pour le 8 mars de cette année-là ont eu lieu dans les pays de tous les continents.  À partir de leurs territoires et de leurs cultures, les femmes ont organisé des marches, des débats, des ateliers, des conférences, des assemblées, des forums, des manifestations et des actions de rue, elles ont composé de la musique, répété des chorales, organisé des pièces de théâtre, des fêtes, des danses partout dans le monde. La chanson Capire, est d’ailleurs le résultat de ce processus, et cela a demandé la contribution de femmes qui ont écrit la chanson en 24 langues différentes. Ces activités ont démontré la diversité et l’engagement de toutes à faire résonner la Marche Mondiale avec le projet politique irrévérencieux de la Marche Mondiale des Femmes pour un changement politique, économique et social.

La radicalité de ce projet politique était d’articuler les groupes de femmes de la base dans un mouvement international pour affronter les causes de la pauvreté et de la violence sexiste ; un mouvement contre le capitalisme patriarcal, qui ne se contentait pas des discours ou des tromperies que le néolibéralisme présentait en particulier dans les pays du Sud global. Depuis lors, la MMF existe en tant que mouvement social féministe, populaire, anticapitaliste et anti-impérialiste, basé sur des luttes locales et articulé au niveau international.

Les actions menées le 8 mars 2000 ont eu un retentissement inégalé à l’époque et n’ont été possibles que grâce à la connexion entre des femmes issues de contextes très différents mais ayant le féminisme comme axe commun. Ces femmes comprenaient le féminisme comme étant « plus que la simple observation des inégalités et que l’accés à des postes de pouvoir », ont-elles décrit dans le texte Objectifs de la Marche Mondiale des Femmes. Elles se sentaient « toucheés par la nécessité de démanteler les systèmes qui perpétuent la peur et la haine de ”l’autre“ et justifient la violence », et dénonçaient « tous les systèmes qui génèrent l’exclusion et renforcent la domination. ».

Les actions

Au départ, la Marche Mondiale des Femmes a été lancée le 8 mars 2000 comme une campagne. Sa devise était « 2000 raisons de marcher contre la pauvreté et la violence sexiste ». Les 89 coordinations nationales qui ont été mises en place au cours des années d’organisation de la campagne se sont mobilisées localement et globalement dans le but commun de changer le monde.

En Afrique, des actions ont été menées au Burundi, au Cameroun, au Congo, au Ghana, en Guinée, au Mali, au Mozambique, au Nigéria, en République démocratique du Congo, au Rwanda, au Sénégal, en Tanzanie, au Togo et en Zambie. Les actions officielles pour lancer la Marche se sont mêlées aux demandes régionales de chaque pays. C’est un trait caractéristique du féminisme populaire international qui conteste, dans chaque territoire et au niveau international, son projet d’égalité, de liberté, de justice, de paix et de solidarité.

En République démocratique du Congo, les femmes ont marqué cette journée en portant le deuil des victimes du conflit en cours dans le pays. Au Ghana, les luttes pour la paix s’unissaient aux luttes pour l’éradication du VIH. En Zambie, une manifestation pacifique a dénoncé les viols et les meurtres de jeunes filles. Dans la plupart des pays, les actions cherchent à discuter avec les gouvernements locaux et les médias, dans le but de diffuser les revendications pour apporter des changements concrets dans la vie des femmes.

Dans les Amériques et les Caraïbes, les actions ont eu lieu en Argentine, au Brésil, en Bolivie, au Canada, au Chili, en Colombie, au Salvador, en Haïti, au Mexique, au Nicaragua, au Pérou, au Québec et aux États-Unis. Au Chili, les femmes ont exigé la légalisation de l’avortement et le procès du dictateur Augusto Pinochet. En Haïti, un groupe musical appelé « Chandel » a présenté un spectacle de merengue avec des chansons qui reflétaient les exigences de la Marche. Sur tout le continent, des milliers de femmes sont descendues dans les rues de leurs villes avec des drapeaux et des banderoles, apportant leurs couleurs pour attirer l’attention de la société sur ce féminisme créatif et combatif qui s’exprimait.

En Asie et en Océanie, des femmes ont organisé des activités pour le lancement de la Marche en Australie, au Bangladesh, à Hong Kong, en Inde, au Japon, au Népal, aux Philippines et en Corée du Sud. Au Bangladesh, les femmes dénonçaient déjà les bas salaires et les mauvaises conditions de travail – qui allaient aboutir en 2013 à l’effondrement tragique du complexe textile Rana Plaza. En Inde, plus de 200 organisations et 150 000 femmes sont descendues dans la rue avec des drapeaux de la Marche. Les revendications sont parvenues au président du pays et ont bénéficié d’une large couverture médiatique. Aux Philippines, avec créativité et irrévérence, des femmes ont organisé un défilé de mode avec des vêtements dénonçant la violence, le trafic sexuel et la prostitution, et ont organisé des manifestations avec la participation de plus de 20 000 femmes.

La Belgique, la Croatie, Chypre, la Yougoslavie, la France, l’Italie, les Pays-Bas, l’Irlande du Nord, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne et la Turquie sont les pays européens qui ont rejoint la campagne mondiale. Dans la plupart de ces pays, des conférences de presse, des manifestations de rue et des actions culturelles ont été organisées. Au Portugal, le ministre de l’Égalité a reçu un livre de témoignages détaillant la pauvreté et la violence subies par les femmes dans le pays. Genève, en Suisse, a accueilli 200 femmes venues de 20 pays européens pour une action culturelle de lancement qui a été diffusée simultanément à New York et à Montréal.

Dans le monde arabe, des actions ont été menées en Jordanie, au Liban et au Maroc. À Rabat, la capitale marocaine, 500 000 personnes ont défilé sous le slogan « Nous partageons la terre, partageons ses biens ».

Le 8 mars 2023

Se souvenir de cette construction, et, plus encore, des origines socialistes de la journée internationale de lutte des femmes, demeure une stratégie qui  « nous renforce dans le processus continu de construction de notre féminisme populaire et aussi de positionnement contre la cooptation de cette date par le néolibéralisme  », comme l’affirme la Marche Mondiale des Femmes dans sa déclaration de ce 8 mars 2023.

La force féministe qui s’exprime le 8 mars dans les rues du monde entier apporte des résistances mais aussi des propositions et des pratiques de transformation construites par les femmes. Ainsi, ce 8 mars, la Marche Mondiale des Femmes affronte l’impérialisme, le fascisme et l’autoritarisme, dénonce le pouvoir des entreprises transnationales, les politiques migratoires racistes et la marchandisation de la nature. En même temps, elle mise sur les stratégies collectives d’organisation, de communication et d’éducation féministe et populaire, pour « établir des relations sociales en harmonie avec la nature, basées sur la réciprocité, où les soins sont partagés ».

Pendant toutes ces années, le féminisme populaire internationaliste s’est construit sur des alliances qui renforcent les luttes des femmes contre la violence et pour la souveraineté alimentaire. La force du féminisme populaire s’exprime dans l’appel à l’action de Via Campesina pour le 8 mars 2023. Elles affirment : « Avec la rébellion, nous faisons germiner le Féminisme paysan et populaire, nous produisons la Souveraineté alimentaire et nous nous organisons contre la crise et la violence ! »

Nous dénonçons la dimension patriarcale et raciste du capitalisme qui opprime les sociétés, notamment les femmes, les enfants et la diversité. Dans le contexte actuel de crise, de guerres et d’inégalité, il est urgent d’affirmer nos valeurs telles que la solidarité et l’internationalisme, d’exiger des formes plus démocratiques et participatives pour les peuples et de continuer à lutter contre toute forme de violence. L’organisation collective est fondamentale pour résister, pour continuer à produire des aliments sains et pour consolider la souveraineté alimentaire dans nos espaces de vie et nos territoires.

La Via Campesina

Ce 8 mars, les Amis de la Terre International publient une vidéo avec la Nigérienne Rita Uwaka. La vidéo réaffirme le rôle des femmes dans la durabilité de la vie, et la centralité de la lutte féministe pour vaincre les systèmes d’oppression et d’exploitation.

https://twitter.com/FoEInt_fr/status/1633438571536302088?t=QT8UZknqX81cab1_maDGvQ&s=08

Nous marchons ensemble sur des terres diverses, les mêmes terres que nous semons et récoltons. Nous grandissons ensemble, en échangeant nos connaissances et nos expériences. Nous honorons la mémoire de ceux qui ne sont plus parmi nous. Nous soutenons les foyers, les communautés et les organisations avec le même horizon : placer la vie au centre.

Les Amis de la Terre International

Rédaction de Bianca Pessoa et Tica Moreno
Édition et révision de Helena Zelic
Traduit du portugais pas Claire Laribe

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