Contexte politique
Avec l’indépendance du Soudan en 1954, l’élection de représentants était devenue possible. Le Front national islamique (FNI), dirigé par le régime de confrérie musulmane, a été créé au début des années 1960, mais n’a jamais réussi à élire des représentants au Parlement. Déjà en 1989, le FNI avait pris le pouvoir après avoir fomenté un coup d’État militaire, renversant ainsi le gouvernement démocratiquement élu. Plus tard, en 1999, le FNI a créé le parti du congrès national (PCN) pour légaliser le groupe et essayer de convaincre la population soudanaise et la communauté internationale qu’il s’agissait d’un gouvernement démocratique. Le front a organisé des élections qui ont enfreint toutes les normes internationales et a élevé à la présidence le général Omar al-Bashir, chef du coup d’État militaire.
Le gouvernement du PCN s’appuyait sur ce qu’il appelait un « projet civilisationnel », basé sur la charia (loi islamique) et a utilisé la religion pour convaincre la population de suivre ce projet. C’était une dictature autoritaire, un régime à parti unique caractérisé par des pratiques dures et répressives. De nombreuses lois et règles ont été appliquées restreignant la liberté d’expression et de réunion, ainsi que le droit d’aller et venir des individus. D’autres partis politiques n’ont plus le droit d’exercer librement leurs activités. Des opposants et des défenseurs des droits humains ont été arrêtés, torturés et assassinés.
Alors que le PCN utilisait la répression, l’agression et la violence contre ses opposants, ses membres pratiquaient toutes sortes de corruption, de conduites inappropriées et de mauvaise gestion des ressources nationales. Les membres du parti se sont donc enrichis et ont pris le contrôle des ressources, tandis que la population soudanaise souffrait de la pauvreté et ne parvenait plus à satisfaire ses besoins fondamentaux. Durant ce gouvernement, la situation économique s’est détériorée dans tous les secteurs, en raison des sanctions financières imposées au pays par les États-Unis, les institutions internationales et d’autres pays. Le Soudan a été classé comme un État parrain du terrorisme, ce qui a accru son isolement sur la scène internationale.
Le système éducatif gratuit a été démantelé par le régime, et de nombreux élèves ont dû arrêter d’aller à l’école parce que leurs familles n’avaient pas les moyens de payer les frais d’éducation. Le système de santé a été complètement détruit. Les soudanais devaient payer des montants faramineux pour avoir accès aux médicament. Les infrastructures du pays ont été affectées. Les routes, les compagnies aériennes et les grands travaux ont été délaissés. Les individus ne parvenaient plus à maintenir leur niveau de vie, effet ressenti surtout par les femmes, qui ne pouvaient notamment ni étudier ni travailler. Tout ce que le régime a fait, c’est essayer de leur enlever leurs droits et leur dignité. Les femmes ont enduré 30 ans de domination islamique et de lutte contre ce régime.
En 2003, un conflit a éclaté au Darfour, un état de l’ouest du pays. Plus de 300 000 personnes ont été tuées par les milices gouvernementales et environ un million de personnes s’est réfugié dans les pays voisins, provoquant des déplacements de masse. Le conflit aux motivations ethniques a créé d’immenses fractures et détruit le tissu social de communautés qui vivaient en paix depuis des siècles. Les milices gouvernementales se sont livrées à des violences systématiques contre les femmes et les filles de peuples non arabes par le viol, le meurtre et les abus sexuels.
La Révolution soudanaise
En décembre 2018, une révolution populaire a éclaté dans tous les états du pays sous la bannière « Liberté, Paix et Justice », pour réclamer justice, droits et de meilleures conditions de vie. Les femmes et les jeunes ont joué un rôle clé dans le succès de la révolution et dans le renversement du régime qui a dominé le pays pendant 30 ans. Les forces armées ont déclaré leur soutien à la révolution, ont écarté Omar al-Bashir du pouvoir et ont installé le général Abdel Fattah al-Burhan à la tête de l’armée.
L’organe Forces pour la liberté et le changement (FLC) formé pendant la révolution, rassemble les partis politiques, les organisations de la société civile, les mouvements armés opposés au gouvernement du PCN et les syndicats. La plupart des groupes de lutte contre le régime sont nés sous le gouvernement du PCN et opèrent depuis lors, avec des stratégies très créatives. Ils ont organisé les luttes même sans systèmes de communication et ont réussi à les mener à bien dans tout le Soudan. Les dirigeants des organisations étaient déjà pris pour cible par l’armée avant le coup d’État, mais ils n’ont pas peur.
Le groupe FLC et les forces armées ont commencé à négocier pour gouverner le pays après le succès de la révolution : un accord a été établi sur une transition de trois ans. À la fin de cette période, une élection devait être organisée pour remplacer le gouvernement militaire de transition. La Déclaration constitutionnelle a été élaborée pour régir cette période. Un Conseil de souveraineté a été créé avec dix civils et cinq militaires, assumant le rôle de chef de l’État.
Al-Burhan, président du conseil de souveraineté, auraient dû remettre la présidence à des représentants civils le 17 novembre 2021, conformément à l’accord de partage du pouvoir et à la déclaration constitutionnelle de 2019. Les civils ont élu l’un de leurs membres président du conseil, mais le 25 octobre 2021, avant la date prévue pour la transition de la présidence de l’organisme au nouveau membre élu, Al-Burhan a fomenté un coup d’État militaire et a déclaré l’état d’urgence. Il a dissous le gouvernement, arrêté tous les ministres, assigné à résidence le premier ministre et perturbé les services de communication et d’Internet.
Le coup d’État a été proclamé peu de temps après et, malgré les restrictions sur les canaux de communication, les gens sont descendus dans la rue pour protester pacifiquement, dénoncer les actions illégales de l’armée et exiger le retour du gouvernement et la transition vers un contrôle civil. Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, contre les procédures prises par le chef de l’armée, exigeant le retour de la transition démocratique et l’engagement envers la déclaration constitutionnelle.
La situation actuelle
Les manifestations en continu et la pression de la communauté internationale ont abouti à la libération du Premier ministre et à une déclaration politique signé par lui-même et l’armée, stipulant la libération de toutes les personnes détenues. Le premier ministre a été chargé de former le gouvernement civil avant la fin de la période de transition. Cependant, les incidents ont entraîné de graves violations des droits humains civils qui n’ont pas cessées entre le coup d’État du 25 octobre 2021 et le 23 novembre 2021. Et la connexion Internet n’a été rétablie qu’après des semaines d’interruption.
Malgré la libération de certaines personnes, nous sommes profondément préoccupés par la poursuite des arrestations de manifestants pacifiques. Les Forces armées soudanaises (FAS), les Forces de soutien rapides (FAR), les services de renseignement et de la sécurité militaires ainsi que la police se sont entendus afin poursuivre les arrestations et les détentions fondées uniquement sur la participation ou l’implication présumée dans les manifestations : des manifestants pacifiques ont été arrêtés sur la base du décret de l’état d’urgence. Trois manifestantes ont été arrêtées et incarcérées sans inculpation formelle dans la prison pour femmes d’Ondurmã. À Khartoum, des journalistes ont eu les yeux bandés et ont été transportés dans un lieu inconnu, où ils ont reçu des menaces pour avoir participé à des événements contre le coup d’État.
Des tactiques similaires à celles enregistrées dans la répression de la révolution de 2018-2019 ont été utilisées contre la population. Le recours à la torture et à d’autres mauvais traitements par les services de sécurité contre des détenus, en particulier dans des lieux non identifiés, soulève des problèmes de sécurité. Les autorités soudanaises ont continué à faire un usage excessif de la force, notamment en tirant des coups de feu sur le haut du corps des manifestants pour disperser les protestations pacifiques au Soudan, ce qui a entraîné décès et blessures parmi les citoyens soudanais. Une femme a été battue par un militaire lors d’une manifestation à l’Université de Khartoum le 26 octobre 2021.
Il existe des cas répertoriés de torture et de mauvais traitements par des agences de sécurité, dans lesquels des détenus ont été battus avec des tuyaux, des barres de fer et des bâtons de bois, ont été frappés à coups de poing, ont été bousculés et ont été obligés de se raser les cheveux. Couper les cheveux des détenus/es avec la même lame sans la stériliser au préalable peut engendrer de graves problèmes de santé, car cela augmente le risque de transmission de maladies par la circulation sanguine. À Kotsi, dans l’état du Nil Blanc, des personnes sont détenues dans des établissements précaires, sans nourriture et avec un accès à l’eau autorisé seulement après 13 heures de prison.
Les autorités restreignent la liberté d’expression : le Service national de renseignement et de sécurité continue d’assigner des journalistes à des interrogatoires ; plusieurs journalistes ont été arrêtés pour avoir couvert les manifestations contre le coup d’État. Tout comme à l’époque d’Al-Bashir, les autorités ont fermé des stations de radio et en ont interdit deux autres de diffuser des informations à Khartoum, sans raison.
En deux jours de manifestations, les 17 et 30 octobre, les forces de police ont tué 42 manifestants, pour la plupart des jeunes et des enfants. Il existe des registres de décès dont celui d’une fille de 13 ans à Jabara, dans le sud de Khartoum, et d’autres âgées de 14 et 17 ans. Deux femmes ont été détenues dans l’État central du Darfour, éloignées de leur domicile, licenciées de leur travail et interdites de recevoir la visite de leur famille. En raison des conditions inhumaines des centres de détention, une femme a fait une fausse couche.
Même face à la violence, les militaires sont confrontés à la pression de la rue et de la communauté internationale. Ils doivent remettre le pouvoir aux civils, car c’est l’accord qui avait été conclu. La population et les organisations adoptent des stratégies de désobéissance civile pour lutter contre les impositions gouvernementales. Nous resterons intransigeants et nous nous battrons jusqu’à ce que nous retrouvions notre démocratie. Nous ne laisserons pas l’armée nous gouverner.
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Pour des raisons de sécurité, l’identité de l’auteure militante de cet article ne sera pas dévoilée.