Photographies de Yara Osman : « Regarder la guerre qui existe en nous »

10/11/2022 |

Par Capire

Nous partageons la série « O vão », de Yara Osman, photographe syrienne qui vit au Brésil

Yara Osman est photographe, pianiste, diplômée en soins dentaires, en plus de faire des traductions en arabe pour le Capire. Née à Lattaquié, en Syrie, elle est arrivée au Brésil en 2016 en tant que réfugiée. Elle vit actuellement à São Paulo, où elle donne des conférences et des débats sur la notion de refuge, féminisme, diversité et sexualité. Elle a joué dans des projets musicaux tels que Tananir, Sarau Vozes Femininas [Soirées Voix Féminines], Gurbah et Um Sonho [Un Rêve]. En tant que photographe, elle a participé à l’exposition « Gurbah », à la Biennale internationale d’art contemporain de Curitiba, avec les artistes Silvana Macedo et Adel Alloush.

Son travail le plus récent est l’exposition virtuelle « Longe de Casa » [« Loin de chez moi »], sur la plateforme Projeto Armazém. Pour les commissaires d’exposition Juliana Crispe et Silvana Macêdo, le travail photographique de Yara « accumule des couches de souvenirs, de transits et de mouvements, recueille l’espoir, mais révèle également des histoires de destruction, de difficultés et de reconstruction dans une perspective de résilience ».

Nous publions ici sa série photographique « O vão », travail de superpositions d’images d’archives de sa famille et d’images actuelles, réalisées en 2021, lorsque Yara était en Syrie. « C’était un retour aux racines », a-t-elle déclaré à propos de ce voyage.

En quittant notre endroit, notre pays, nous finissons par redécouvrir qui nous sommes, nous repenser, tout voir différemment. Y retourner a été une combinaison de beaucoup d’émotions et de souvenirs. J’y suis retournée pour tout élaborer : mon histoire, comment c’était avant la guerre, qui étaient mes grands-parents – qui sont morts avant cette guerre mais qui en ont vécu d’autres pendant leur jeunesse. En pensant à la façon dont les guerres se poursuivent, d’où je viens et qui est ma famille, j’ai rassemblé ces vieilles photos de ma mère lorsqu’elle était enfant, de mes grands-parents avant leur mort, avec des photos actuelles de la guerre en Syrie.
Yara Osman

Les photographies actuelles ont été prises dans la ville de Homs, qui a subi de nombreuses destructions dues à la guerre civile syrienne qui a débuté en 2011. Yara raconte aussi que la ville a été l’une des premières à organiser des manifestations pendant le processus politique connu sous le nom de « Printemps arabe ». Faire face à la ville dix ans plus tard et la photographier a été, pour Yara, « un processus difficile, car il est en quelque sorte interdit de photographier ces choses. »

C’était un acte révolutionnaire d’aller là-bas et d’essayer de rassembler ce matériel photographique, d’essayer de photographier même en prenant des risques. La destruction est bien triste. En même temps, c’est très difficile à expliquer, mais il y a un certain côté artistique, il y a un charme à penser à tous les gens qui ont vécu dans ces maisons. Vous vous sentez tout petit avec toute cette destruction autour de vous, et ce sont des sentiments assez complexes.
Yara Osman

En fusionnant le temps de la jeunesse de ses grands-parents et de l’enfance de sa mère avec le temps présent, Yara Osman inscrit le passé dans le présent, reprenant et, plus encore, repositionnant les souvenirs non officiels de vies ordinaires opprimées par la guerre. Avec ce travail, Yara formule un témoignage qui expose les lacunes et les marques douloureuses, plutôt que de les cacher. Avec sensibilité, « O vão » dénonce la permanence de la destruction dans le quotidien des familles et des peuples.

Unir cette période qui pour moi est l’avant-guerre (et qui est aussi l’après-guerre pour l’ancienne génération) avec celle d’aujourd’hui signifie, pour moi, regarder la destruction qui est en nous, la guerre en nous, au sein des générations, et qui ne quitte pas nos corps, qui ne quitte pas notre peau. On essaie de surmonter tout cela. C’était une façon de surmonter la dépression dont j’ai souffert à mon retour de Syrie, après avoir rendu visite à ma famille et avoir vu qu’ils étaient détruits à l’intérieur, à cause de la guerre qui n’est toujours pas terminée et à laquelle nous n’avons aucun espoir de mettre fin. C’était une tentative de surmonter le fait de m’exprimer autrement, de voir les choses différemment.
Yara Osman

Rédaction de Helena Zelic

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