Je ferai une brève présentation de certains aspects d’une transition énergétique juste et féministe, basée sur les connaissances et les expériences collectives proposées par nos mouvements à travers le monde entier. Chaque fois que nous réfléchissons à la manière de relier nos expériences actuelles au projet politique sur l’avenir que nous voulons construire, l’économie féministe et solidaire s’avère très utile, voire nécessaire.
L’économie féministe et solidaire nous apprend qu’il n’est pas possible d’avoir une véritable transformation si nous ne remettons pas en question l’ordre économique et si nous ne faisons pas face, en même temps, à la politique qui le nourrit. Faire face à l’ordre économique revêt plusieurs significations pour les féministes, y compris celle de questionner la division actuelle dans nos sociétés entre production et reproduction.
Cela nous invite à réfléchir aux questions suivantes : sur quels types de politique et d’économie féministes une transition énergétique juste et féministe est-elle fondée ? Comment, quoi et pour qui produisons-nous et reproduisons-nous aujourd’hui dans nos sociétés ? Et comment, quoi et pour qui voulons-nous produire et reproduire dans le cadre d’une transition énergétique juste ?
Nous n’avons pas la réponse complète à cette question, mais à partir de nos luttes, nous savons que le système énergétique actuel est structuré en pratiques et valeurs capitalistes, patriarcales, racistes, impérialistes et colonialistes qui n’existent que pour assurer l’accumulation de profit par une minorité. Faire face à cela implique de repenser et de retravailler le système énergétique en tant que partie intégrante d’un projet politique qui met en son cœur la reproduction, les soins et la lutte contre la division sexuelle du travail.
Comment le système énergétique fonctionnerait-il s’il était basé sur ces valeurs ?
Cela demanderait beaucoup d’organisation politique populaire et de processus décisionnels politiques démocratiques, horizontaux et collectifs. Il serait nécessaire de réfléchir et de transformer le rôle de la sphère publique, en promouvant une approche de l’énergie comme bien commun. Le dialogue entre mouvements alliés est essentiel pour qu’une transition énergétique juste et féministe intègre un projet politique complet de transformation.
Les débats sur l’économie et la politique dans le cadre d’une transition énergétique juste et féministe sont liés à l’évolution du travail ainsi qu’aux types de relations entre les êtres humains et la nature, relations qui façonnent la transition énergétique. En ce sens, deux principes sont importants : l’interdépendance (reconnaître et valoriser la dépendance entre les êtres humains) et l’écodépendance (reconnaître la dépendance des êtres humains envers la nature).
Comment une transition énergétique juste et féministe aborde-t-elle le travail et la nature ?
La réponse n’est pas seulement de reconnaître les processus de dépossession territoriale qui continuent de se produire aujourd’hui, mais aussi de valoriser les savoirs populaires et autochtones et d’autres pratiques qui peuvent représenter, pour nous, une inspiration en tant que modèles de projet. En ce sens, nous pouvons par exemple apprendre de l’agroécologie, de la permaculture et des pratiques autochtones de soins avec les communautés.
Tout cela implique également de relocaliser le travail au niveau communautaire, en mettant l’accent sur la garantie que le système énergétique réponde aux besoins fondamentaux des personnes, par opposition à la marchandisation actuelle de l’accès à l’énergie et aux autres droits fondamentaux. Cela implique également de cesser d’élargir les limites de l’extraction de minéraux dits « à faible teneur en carbone » tels que le lithium, le cuivre et le cobalt, essentiels pour la transition énergétique capitaliste et injuste. Lorsque nous reconnaissons que nous sommes écodépendants et interdépendants, il devient assez problématique de construire, par exemple, de grands barrages hydroélectriques pour fournir de l’énergie pour les opérations minières ou agro-industrielles.
Unité pour un agenda populaire
Il est important d’établir un consensus parmi nos mouvements alliés sur ce qu’est de fait une véritable transition énergétique, à partir de la perspective de la justice socio-économique et aussi de la justice de genre, parce que le plan de relance pour l’ère post-covid des organisations internationales (telles que la Banque mondiale et les entreprises qui contrôlent les États) est déjà très bien définie.
La stratégie de ces acteurs est, comme toujours, de faire du greenwashing sur leurs opérations pour vendre une conception très problématique de la transition énergétique en termes capitalistes, comme si c’était la seule alternative possible. Cette approche hégémonique conçoit la transition énergétique comme une opportunité d’affaires, avec le soutien important de solutions technologiques, notamment de technologies numériques.
Il est essentiel de construire des accords sur lesquels des principes et des pratiques guident une transition énergétique juste, féministe, antiraciste, anticolonialiste et anticapitaliste. Nous devons continuer à disséminer le débat féministe dans tous les espaces, y compris au sein de nos organisations.
Marianna Fernandes vit en Suisse. Elle est membre du Comité International de la Marche Mondiale des Femmes qui représente l’Europe. Ce texte est une édition de sa contribution à l’atelier « Si ce n’est pas féministe, ce n’est pas juste » [If It’s Not Feminist, It’s Not Jus], des Amis de la Terre International (ATI), tenu le 18 juin 2021, dans le cadre de la programmation de la conférence virtuelle « 5 pour le climat » [« 5 for the Climate »], organisée par les Amis de la Terre Allemagne (BUND) avec l’Institut indépendant pour les questions environnementales [Independent Institute for Environmental Issues – UfU].