Blocage contre le projet minier d’AntaKori : Les femmes et les communautés péruviennes en résistance

02/02/2022 |

Par Aurora Portal, Lourdes Contreras e Rosa Rivero

Les chemins de la résistance dans le blocage appelé par les organisations paysannes et indigènes de la région nord du Pérou

Résister aux mégaprojets miniers est une tâche quotidienne des communautés paysannes et autochtones du Pérou et de tant d’autres territoires d’Amérique latine.

En janvier de cette année, nous, militantes d’organisations populaires péruviennes, avons organisé un blocage pour exiger le retrait du projet minier AntaKori, dans la région de Sinchao, dans le district de Chugur-Cajamarca, où la société Anta Norte a mené ses activités avec des fonds de la société canadienne Regulus Resources. Le blocage a commencé le 17 janvier et a été temporairement interrompu le 25 janvier, après la visite d’une commission gouvernementale dans la région. Une assemblée populaire s’est tenue en présence des autorités du gouvernement national, régional et de l’État, et de plus de trois mille personnes, dont des hommes, des femmes et des enfants.

Nous exigeons de la commission le retrait de la société minière de notre territoire, démontrant notre rejet de l’extractivisme.

À la suite de nos pressions exigeant l’arrêt des activités de la société minière, la commission a indiqué qu’elle procéderait à des études d’impact technique et social. Nous ne voyons toujours pas cela comme une victoire, car nous savons que l’entreprise et les pouvoirs impliqués tenteront de justifier les actions de la société minière. La commission est composée de maires, ronderos [défenseurs paysans] et dirigeants des comités de défense des villages.

Nous remettons en question l’entrée de transnationales sur nos territoires sans consultation préalable et sans le droit de décision de nos communautés. Depuis 2010, Regulus Resources insiste pour entrer sur le territoire sans que la population ne soit consultée. Pendant la pandémie, la société minière est entrée sur le territoire en 2021, en pleine nuit. Ces forages entraînent un certain nombre de dommages environnementaux graves.

L’exploitation minière détruit la nature et les modes de vie

L’eau de la région où l’entreprise a l’intention d’installer le projet provient du bassin de Chancay Alto, en passant par la ville de Lambayeque jusqu’à la ville de Chiclayo. C’est le seul bassin qui n’a pas encore été contaminé. La tête du bassin alimente tout le littoral, atteignant la région nord, à Lambayeque. La contamination affecterait gravement l’agriculture et la santé de milliers de personnes dans la région.

La contamination par des projets d’extraction a déjà causé la mort d’au moins 17 mille poissons. Les pâturages s’assèchent, le bétail perd son pelage, les moutons n’ont plus de lait et d’autres animaux meurent. Comme l’a déclaré une compagne dirigeante : « Nous vendions du lait et maintenant les gens ne veulent même plus l’acheter parce qu’ils disent qu’il est contaminé par des métaux lourds. Le lait n’est donc pratiquement plus une source de revenus pour nous ». La présence de plomb a été détectée chez les enfants et, selon les rapports du ministère de la Santé de 2016, environ 372 enfants et adultes avaient des métaux lourds dans le corps. L’eau contamine les gens et la nature. Pour cette raison, les gens n’acceptent plus l’exploitation minière.

La surveillance de la contamination est fragile, car les institutions étatiques et l’ensemble du cadre réglementaire sont favorables aux entreprises. Du gouvernement d’Alberto Fujimori aux dernières présidences, la tendance est à l’assouplissement de toutes les normes environnementales de surveillance des entreprises.

L’organisation du blocage

Le projet d’AntaKori en est déjà à la quatrième étape d’exploration, ce qui correspond à l’étape de planification sur la façon dont il se déroulera. Nous, défenseurs et défenseures communautaires de ce territoire et des quartiers environnants, avons voté contre le projet et et nous n’abandonnerons pas le combat.

Le 8 janvier, nous avons décidé à quoi ressemblerait notre blocage. Le 17, nous avons occupé l’entrée du projet minier. La grève a été organisée par plus de quarante organisations, telles que les rondes paysannes[1], les comités de défense, les organisations locales et la société civile organisée dans les villages et les communautés voisines.

Cette lutte ne s’organise pas seulement maintenant. Ce n’est pas comme si soudainement nos communautés avaient décidé de commencer un blocage. Il est important de se rappeler que depuis 2000, au moins, et beaucoup plus tôt, nous articulons nos luttes pour la défense de l’eau, de la terre et du territoire. Un cas emblématique fut celui de la société minière Manhattan, dans la ville de Tambogrande. Grâce à la pression populaire, nous avons réussi à faire sortir la société minière du territoire et la première consultation populaire en Amérique latine a eu lieu en 2002. Notre articulation s’est poursuivie dans le cas du projet Conga, lorsque notre commandement unitaire a réuni les communautés qui étaient en résistance contre l’extractivisme et a défendu les femmes et les hommes criminalisés pour avoir combattu et défendu notre eau, nos corps, notre terre et nos territoires.

Alors que le blocage se produisait, d’autres mobilisations ont eu lieu dans la région, comme à Lambayeque et à Cajamarca. À Lambayeque, notre mobilisation a dénoncé la contamination de l’eau par l’arsenic, le plomb et d’autres métaux lourds résultant du projet minier de La Zanja. Des activités de mobilisation contre l’action des entreprises minières ont également lieu à l’échelle nationale, comme dans le corridor minier du sud.

Le féminisme pour défendre la vie

Nous, les femmes, nous nous mobilisons pour la vie et aussi parce que toute notre production et nos moyens de subsistance sont affectés par l’exploitation minière. La participation des femmes à cette résistance est très importante, mais nous ne pouvons pas ignorer que le machisme et le patriarcat existent. Les hommes sont toujours ceux qui mènent les processus de lutte, mais il y a un groupe important de femmes – de la Marche Mondiale des Femmes, en particulier –, à partir duquel nous agissons pour générer des processus de despatriarcalisation, y compris au sein des blocages.

Nous favorisons la participation active des femmes afin que nous ne soyons pas les seules responsables de l’alimentation dans les blocages et les mobilisations, mais que nous puissions mener la lutte et la résistance à partir de nos différentes communautés.

Lors d’une activité pendant la grève, une compagne, tenant son bébé, a demandé à prendre la parole et on lui a répondu qu’on ne pouvait pas la laisser parler car « il n’y avait pas assez de temps ». Nous avons demandé : « camarade, comment vas-tu l’empêcher de parler ? Tu peux monter, compagne ! ». Pour les femmes qui sont mères, l’exploitation minière est quelque chose d’inacceptable, car elle affecte la santé et même l’alimentation des enfants. Nous devons continuer à insister sur la participation des femmes aux processus de transformation.

Nous disons à nos compagnons que si nous luttons contre l’extractivisme, contre la violence des sociétés transnationales sur nos territoires, et que nous sommes unis là-dedans, nous devons aussi défendre conjointement la vie et le corps des femmes.

En tant que féministes des communautés populaires, nous comprenons que la violence qui s’exerce sur nos territoires est la même que celle qui s’exerce sur le corps des femmes. Les sociétés minières transnationales nous divisent et génèrent des affrontements entre compagnes et compagnons utilisant le patriarcat et le sexisme. Dans les différents espaces partagés avec nos compagnons, nous pratiquons l’éducation populaire, qui se fait également à travers nos écoles populaires. Nous y débattons des questions de féminisme, mais aussi la lutte elle-même et la grève deviennent aussi une scène de débat et de dispute.

Il faut changer de modèle

Cette mobilisation populaire intervient également dans un contexte de militarisation et de criminalisation des manifestations. Même sous le nouveau gouvernement de Pedro Castillo, la Police nationale reste l’écuyer des sociétés transnationales.

Le président Pedro Castillo est plus aligné sur les luttes paysannes, indigènes et territoriales, mais les règles du jeu n’ont pas encore été modifiées. Le seul changement consiste à organiser davantage de tables de dialogue, mais les accords finissent par ne pas être maintenus car les contrats avec les entreprises ne sont pas revus. Au milieu de tout cela il y a la vie, et sans eau, il n’y a pas de vie.

Les sociétés minières contaminent nos territoires, nos eaux et nous tuent lentement.

Le Pérou continue avec un modèle économique extractiviste. Cela n’a pas encore changé car pour changer ce modèle, une nouvelle constitution politique doit être créée. Nous continuons à vivre, à résister et à nous battre sous la Constitution héritée de l’ancien dictateur Fujimori, qui a cédé l’ensemble du territoire national aux sociétés transnationales et remis la plupart des concessions aux sociétés minières.

« Vous ne vous souciez pas de nous, au contraire, vous vous souciez de générer des ressources et des profits », ont déclaré les compagnes aux autorités présentes à l’assemblée. « Vous dites que s’il n’y a pas de mine, il n’y a pas de travail. Et à quoi bon gagner un sac d’or si nous savons que cet argent ne suffira pas à nos vies, même pas à nos enfants ? »

Nous vivons ce même scénario depuis 30 ans : le pillage systématique des terres des communautés paysannes, traditionnelles et autochtones dans tout le pays. Dans la plus grande mine du Pérou, la mine de Las Bambas, dans le sud du pays, il n’y a pas non plus eu de consultation préalable. Chaque mois, la population se mobilise et les accords ne sont pas respectés. Les sociétés minières ne prennent pas les accords au sérieux, ne les respectent pas, et le gouvernement continue de l’ignorer.

Nous ne voulons pas d’extractivisme sur nos territoires, nous voulons changer les règles du jeu. Nous promouvons les processus d’assemblée constituante des communautés. Nous avons besoin d’un processus d’Assemblée constituante populaire, égale, plurinationale et souveraine, car nous voulons assurer la participation et la voix de nos peuples autochtones, noirs et des femmes. Nous voulons une nouvelle Constitution qui défend les droits des peuples, des femmes et de notre diversité et garantit la liberté de décider si nous voulons ou non l’exploitation minière.

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Aurora Portal, Lourdes Contreras et Rosa Rivero font partie de la Marche Mondiale des Femmes dans la région de Macronorte au Pérou.


[1] Les Rondes paysannes [rondas campesinas, en espagnol] sont des organisations communautaires créées pour défendre les territoires dans la zone rurale du pays depuis les années 1970

Édition par Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol

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