Miriam Miranda : « Il y a un génocide contre nous, peuples qui défendons la nature. »

04/10/2022 |

Par Capire

Miriam Miranda, leader garifuna du Honduras, s'exprime sur le racisme, la persécution politique et l'organisation des femmes

Desinformémonos, 2021

En ce mois de septembre, Capire s’est entretenu avec Miriam Miranda, coordinatrice générale de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (Ofraneh). Miriam a dénoncé les persécutions subies par le peuple afro-autochtone Garifuna, elle a partagé l’agenda et les engagements politiques de son organisation ainsi que son point de vue sur les liens entre l’antiracisme, le féminisme et la défense de la nature et des biens communs.

Miriam a également expliqué le processus de persécution politique qu’elle subit actuellement, dirigé par le parquet hondurien et dénoncé par des organisations au Honduras et sur le continent. Vous pouvez écouter l’interview en espagnol ou en lire la traduction ci-dessous :

Pouvons-nous commencer par présenter votre trajectoire et celle du peuple garifuna ?

Je suis afro-autochtone. Nous sommes le peuple Garifuna, c’est-à-dire un mélange d’autochtones Arawaks et d’Africains noirs. Ce mélange s’est produit sur l’île de São Vicente au XVIème siècle. Plus tard, après une guerre sanglante contre nos ancêtres, nous sommes arrivés au Honduras le 12 avril 1797, plus précisément dans la communauté de Punta Gorda, à Roatán, dans les îles de la Baie. Très peu de gens connaissent cette histoire car les îles de la Baie sont considérées comme une simple attraction touristique. Nous sommes un peuple matrilinéaire dans lequel les femmes jouent un rôle essentiel. Nous sommes situés sur la côte atlantique du Honduras, mais on trouve également des Garifunas au Belize, au Guatemala, au Nicaragua, et aujourd’hui il y a une grande population garifuna aux États-Unis, où est établie la plus grande concentration après le Honduras. C’est le résultat de toute la pression que nous subissons sur la côte et dans un pays qui est devenu une narco-dictature au cours des 12 dernières années, où il existe un conflit majeur sur les territoires du peuple Garifuna. Les gens choisissent de partir. Nous pensons qu’il existe une politique visant à vider les territoires pour les céder aux entreprises et, surtout, pour que les actuels puissants groupes du pays puissent s’en accaparer.

Nous vivons dans une zone extrêmement vulnérable, sous grande pression et très contestée. Il y a des disputes tous les jours sur les territoires du peuple Garifuna.

Pouvez-vous nous dire comment Ofraneh s’est organisée et quels sont actuellement ses fronts de travail  ?

Le peuple Garifuna s’est organisé avec les Noirs anglophones dans les années 1970, dans le cadre de l’installation de la production de bananes au Honduras, pour lutter contre le racisme et la discrimination. Les pratiques racistes du Nord sont devenues très fortes dans les plantations de bananes. Au début des années 1980, nous avions pu organiser un rassemblement du peuple garifuna. Cette organisation a évolué pour devenir ce qu’est Ofraneh aujourd’hui : une organisation communautaire qui travaille avec différentes communautés et groupes, et qui constitue aujourd’hui la représentation politique du peuple garifuna pour la défense de ses droits collectifs et de ses droits territoriaux ancestraux.

Nous organisons la communauté garifuna, où qu’elle se trouve, car nous ne voulons pas que le lien familial et la communalité du peuple garifuna soient brisés. Ce qui se passe aux États-Unis ou dans d’autres pays affecte la communauté garifuna qui vit ici au Honduras. Actuellement, nous constatons les effets forts de la culture acquise aux États-Unis, dans le Nord, qui détruit le tissu social des communautés garifunas. Les jeunes ne perdent pas seulement leur identité, ils intègrent également des anti-valeurs qui brisent cette harmonie communautaire.

Le peuple garifuna est une grande famille, et où que nous soyons, nous avons toujours un lien entre nous.

Pourriez-vous nous parler de la persécution que vous subissez actuellement, et nous dire quelles sont les motivations derrière l’ouverture d’une enquête sur vous-même par le bureau du procureur général ?

Cela a une histoire. Au cours des cinq dernières années, des personnes appartenant au peuple garifuna ont été assassinées comme jamais auparavant. Nous avons payé cher ces 12 années de narco-dictature, car le peuple garifuna n’est pas resté silencieux. Les disparitions forcées, comme celle du président de l’Association communautaire [de la ville de Triunfo de la Cruz], enlevé à son domicile le 28 juillet 2020, ne touche pas seulement les familles les plus proches des jeunes disparus.

Entrer dans les maisons, faire sortir les gens de chez eux, c’est un message fort. Il n’est pas possible d’évaluer ce que cela signifie pour une communauté culturellement différenciée.

Après la disparition forcée des jeunes, nous avons créé le Comité d’enquête et de recherche des jeunes garifunas de Triunfo de la Cruz – SUNLA, un mot garifuna signifiant « Assez ! ». L’objectif est d’exiger que justice soit faite, mais aussi de mettre fin à la persécution, à la criminalisation et, surtout, à la violence dans les communautés garifunas.

L’année dernière, un an après la disparition forcée de nos garçons, nous nous sommes rendus au bureau du procureur et nous avons présenté une pétition qui incluait le respect des sentences de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme et la fin de la criminalisation. Un an plus tard, nous sommes retournés au parquet, nous avons demandé une audience auprès du procureur général de la République, et le silence a été absolu. Cette année, au lieu de suivre leur devoir, ils ont commencé à nous dénoncer.

Je crois que cette action du parquet est aussi un signe de la fragilité du gouvernement de Xiomara Castro. Le fait qu’ils puissent utiliser un tel pouvoir pour nous criminaliser, au moment même où le gouvernement de Xiomara Castro est en train de construire un pouvoir populaire, est la preuve de ce dont nous avons parlé : il ne suffit pas d’avoir la présidence de la République quand il y a une crise institutionnelle qui rend les défenseuses et défenseurs vulnérables et les affecte. Nous devenons la cible des institutions pour qu’elles puissent attaquer d’autres organisations sociales.

Le Honduras est un pays où règne l’impunité, où les défenseuses et défenseurs, même avec des mesures de protection, sont assassinés, comme ce fut le cas pour Berta Cáceres. Je dispose également de mesures de protection, mais c’est à moi de me protéger, car l’État ne me donne aucune garantie, aucune protection.

Le Honduras est devenu un laboratoire politique après le coup d’État de 2009. Mais il y a aussi eu deux autres coups d’État qui sont passés inaperçus : le coup d’État du Congrès national contre la Cour suprême de justice le 12 décembre 2012 (le « coup d’État du 12/12/12 ») et le coup d’État électoral de 2017. Le Honduras a connu une série de coups d’État qui ont détruit ses institutions. Ce n’est donc pas un hasard s’ils ont engagé des poursuites pénales contre moi.

En 2021, vous avez déclaré dans une interview qu’ « il y a un plan de génocide contre le peuple Garifuna. » Pourquoi le génocide est-il l’un des outils des puissants, non seulement au Honduras mais dans le monde entier ?

Il y a plusieurs crises auxquelles nous sommes confrontés en tant qu’humanité, à l’échelle planétaire. La plus importante est la crise environnementale. Le plus gros problème pour nous, en tant que peuples, est que les quelques ressources restantes se trouvent dans les régions autochtones, dans les régions de la population noire, dans les régions de nos peuples. Nous sommes confrontés à des entreprises et à des États qui répondent aux intérêts des entreprises privées et des sociétés internationales. L’intention est de détruire nos peuples :  de cette façon, ils pourront s’approprier les quelques ressources qui existent encore dans nos territoires.

Ils doivent détruire les peuples parce qu’il y a de la résistance. Pendant plus de cinq siècles, nous avons vécu dans ces territoires en utilisant uniquement ce qui est nécessaire, non pas pour survivre, mais pour vivre. J’ai été invité à donner une conférence à des étudiants et nous avons parlé de comment se mesure la pauvreté. On dit que les autochtones sont pauvres. Pourquoi, s’ils vivent en utilisant seulement ce qui est nécessaire pour vivre ? Ils sont considérés comme pauvres parce qu’il existe une conception différente de la pauvreté et du développement. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un modèle de développement destructeur pour la nature et pour tous les êtres vivants de la planète.

C’est ce qui s’est passé avec un immense hôtel construit à Bahia de Tela : ils ont détruit une zone entière de grande biodiversité pour en faire un parcours de golf de 18 trous, où des millions de litres d’eau sont nécessaires pour que le terrain de golf reste vert. Ils ont détruit les frayères, où les tortues pondaient leurs œufs, et les ont recouvertes de goudron. Pour moi, c’est un écocide. Ils ont fait une terrible campagne publique contre Ofraneh parce qu’ils ont dit que nous étions contre le développement. Je pose la question :  quel développement ?

Je vois cela comme un processus poussant au suicide, même si c’est contre nous-même que nous sommes poussés au suicide en tant qu’êtres humains – parce que la planète Terre va se régénérer, c’est ce que nous voyons tous les jours. C’est pourquoi je dis qu’il existe, à l’échelle planétaire, un processus et une politique de génocide contre les peuples qui défendent la nature, qui défendent les ressources naturelles et la vie.

Dans cette défense de la vie, quel est le rôle des femmes noires et autochtones ?

Depuis 20 ou 30 ans, nous, les femmes, nous avons guidé la défense de nos territoires. Nous ne défendons pas seulement notre corps-territoire, nous défendons aussi le territoire en général. Je me souviens d’un débat auquel j’ai participé sur la question du féminisme « pur », c’est-à-dire ce courant féministe qui défend le corps-corps, mais qui ne s’intéresse pas à la défense des ressources naturelles ou d’autres corps. Je me réjouis que, ces dernières années, la question de la défense du territoire ait été intégrée par de nombreux mouvements féministes.

Nous, les femmes, nous sommes les premières à nous occuper de la maison et des ressources. Combien de femmes doivent marcher des kilomètres et des kilomètres pour se procurer un peu d’eau ? Combien de femmes doivent défendre les semences ? Nous sommes présentes depuis des siècles, mais au cours des dernières décennies, des femmes ont émergé pour assurer la continuité de l’humanité, pour défendre l’idée d’une maison commune pour nos fils et nos filles, afin que ces nouvelles générations puissent vraiment profiter de ce qui existe, avoir une vie pleine, bien manger, respirer un air pur, profiter de la nature.

Lors de l’activité ATALC du mois dernier, vous avez déclaré que « nous devons nous dépêcher, non seulement dans l’analyse, mais aussi dans la rédaction de propositions ». Quelles sont les propositions à créer ou à faire avancer dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes ?

Nous ne pouvons plus permettre que la construction de ce qui nous revient de droit soit mise entre les mains d’autres personnes. Nous sommes dans une période de consolidation du fascisme. La concentration du pouvoir de ceux qui contrôlent aujourd’hui le système économique et politique est si grande qu’elle pousse les gens à quitter leur pays pour aller souffrir dans d’autres pays, dans des conditions extrêmes de violation des droits humains. Que ferons-nous de la question de la migration si nous ne faisons rien pour que les gens restent dans le pays ? Nous avons le droit d’émigrer, mais nous avons aussi le droit de rester dans nos pays, de construire un pays différent. Qu’est-ce que nous construisons petit à petit, à partir des mouvements sociaux, qui nous permette de rompre avec ça et de montrer que nous pouvons le faire, que nous pouvons changer les choses ?

Avec Ofraneh, nous développons un processus d’autonomie et de souveraineté alimentaire à Vallecito, un territoire que nous parvenons petit à petit à libérer des mains du trafic de drogue. Nous plantons des cocotiers pour remplacer et nous opposer à la plantation de palmiers à huile, non seulement pour rétablir le régime alimentaire du peuple garifuna, mais aussi pour pallier aux problèmes de santé. Nous avons sept centres de santé ancestraux en activité, qui dispensent des soins de santé de première nécessité et qui s’engagent à récupérer la mémoire historique de l’utilisation des plantes médicinales du peuple garifuna. Nous devons être forts pour faire face aux maladies et aux épidémies : faire attention à la nourriture, à la façon dont nous vivons, à la santé mentale, à la question de l’eau et de l’air que nous respirons. Nous devons aller bien, et cela signifie à la fois construire et déconstruire.

Les mouvements de femmes peuvent en faire plus à partir de nos espaces. Même si nous sommes dans des zones urbaines, nous devons construire des territoires libres et autonomes où nous pouvons être plus humains. La violence érode la société, détruit le tissu social et les communautés. Il est essentiel de faire face à la violence, et nous le faisons en générant de l’amour. Les communautés, les quartiers et les villes doivent trouver des moyens de lutter contre la violence et la déshumanisation.

Interview réalisée par Helena Zelic
Traduit du portugais par Claire Laribe
Langue originale : espagnol

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