L’impact de la numérisation sur les systèmes alimentaires est un problème qui se dessine à travers l’Afrique. La numérisation de l’agriculture a été décrite par les gouvernements et les entreprises agroalimentaires comme un moteur pour accélérer la transformation numérique. En Afrique, nos systèmes alimentaires ne font pas exception à la tendance de la conversion numérique : les activités qui impliquent la plantation, la culture, la transformation, l’emballage, le transport, la consommation et la distribution des aliments deviennent déjà dépendantes de ces technologies.
Nous assistons en Afrique à l’émergence rapide d’applications pour téléphones mobiles proposées par les entreprises de pesticides aux agricultrices et agriculteurs sous prétexte que ces applications aideront à prendre des décisions sur ce qu’il faut planter, la quantité de pesticide à appliquer et ce qu’il faut cultiver. Cette approche high tech est très déconnectée des réalités de l’agriculture à petite échelle, qui constitue l’épine dorsale de nombreuses économies africaines. La population mondiale connectée à Internet continue de croître à un rythme alarmant, passant de 3,4 milliards en 2016 à 5,2 milliards en 2021. La croissance accélérée d’Internet en Afrique a facilité l’émergence des technologies numériques dans les systèmes alimentaires du continent1. Un rapport récemment publié suggère le nombre de 33 millions d’utilisateurs enregistrés en 2018, dont 13 % étaient de petit.e.s agriculteurs.trices en Afrique subsaharienne, un nombre qui devrait atteindre 200 millions dans les années à venir.
Les applications numériques de haute technologie devraient suivre les premières applications introduites et inclure, entre autres, des tracteurs sans opérateur et des drones équipés pour pulvériser des pesticides – des technologies dont le développement ne prend pas en compte les petit.e.s agriculteurs.trices. L’objectif principal de ces entreprises agroalimentaires numériques est d’intégrer des millions de petit.e.s agriculteurs.trices dans un vaste réseau sous contrôle central. Lorsque l’agriculture à petite échelle est intégrée au réseau, les agriculteurs et les agricultrices subiront une pression croissante pour acheter les produits de ces entreprises (intrants, machines et services financiers) et leur fournir des produits agricoles à revendre ensuite.
Non seulement les agriculteurs et agricultrices travaillant à l’échelle commerciale, mais aussi ceux et celles qui pratiquent une agriculture de subsistance utilisent déjà les technologies numériques. La technologie numérique peut être appliquée tout au long de la chaîne d’approvisionnement sur la base des principes de l’agroécologie pour les communautés. L’agroécologie est de plus en plus reconnue comme l’art de la culture durable, dans laquelle les agriculteurs et agricultrices occupent une place centrale et leurs connaissances et compétences sont indispensables.
Nous devons placer les personnes qui cultivent la terre au-dessus des profits et adopter et promouvoir les technologies développées selon les principes de l’agroécologie.
Barbara Ntambirweki est avocate et militante en Ouganda et membre du groupe ETC.
- Dr. Nina Rismal; Doing Development Digitally: Scoping paper on Digitalization, food systems and Development [Développement par les moyens numériques : une étude sur la numérisation, les systèmes alimentaires et le développement (notre traduction)] [↩]