Soudan : faim extrême et déplacements forcés en plus d’un an de guerre

18/10/2024 |

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Des militantes soudanaises analysent les impacts du conflit qui a déjà déplacé 10 millions de personnes

WFP, 2024

Depuis avril 2023, une violente guerre civile s’est emparée du Soudan dans un différend pour le pouvoir et les territoires entre les forces armées soudanaises et le groupe paramilitaire connu sous le nom de Forces de soutien rapide (RSF en anglais). Depuis le début de cette nouvelle phase du conflit, plus de 10 millions de personnes ont été déplacées et environ 70 % de la population meurt de faim.

L’histoire des guerres civiles dans le pays n’est pas récente. Depuis les luttes pour l’indépendance, le Soudan a connu une série de conflits internes, alimentés par des différends et des ingérences extérieures. La première guerre civile, qui a duré entre 1955 et 1972, a marqué les différences entre le sud et le nord du pays, les sudistes réclamant plus d’autonomie régionale. Un autre conflit a éclaté en 2003 et s’étend jusqu’à nos jours dans la région du Darfour, à l’ouest du Soudan, une région riche en ressources naturelles telles que l’or. La guerre actuelle a éclaté en raison d’un désaccord sur la période d’intégration des RSF dans les Forces armées, dans le cadre des revendications non résolues de la Révolution populaire soudanaise de 2018.

Cet article rassemble des analyses présentées lors des activités « La guerre au Soudan : perspectives de la gauche », organisées par l’Assemblée Internationale des Peuples (AIP), Peoples Dispatch et le magazine Madaar en juillet 2024 et « Tracer la route des conflits africains oubliés », organisé par la Marche Mondiale des Femmes (MMF) Afrique du Sud en septembre.

Dispute sur les territoires et les richesses naturelles

Pour Niamat Kuku, membre du Comité central du Parti communiste du Soudan et militante des droits humains, le contexte avant la guerre et pendant la période de transition était celui d’une lutte de classe intense. « Ceux qui s’opposaient à la révolution étaient contre toutes les femmes, les paysans et les paysannes et tous les autres segments sociaux à l’exception des politiciens islamiques », a déclaré Niamat. Cette opposition antipopulaire bénéficiait d’un fort soutien de forces extérieures : « nous avons été confrontés aux menaces de forces étrangères, d’ingérence et d’intervention au Soudan, y compris l’intervention de l’Égypte et des Émirats arabes unis, des pays qui ont un grand intérêt pour nos ressources ».

L’ingérence internationale est devenue de plus en plus intense à mesure que la révolution soudanaise a eu lieu, dans le cadre de la lutte pour la souveraineté nationale sur les ressources du pays. « La situation géographique du Soudan permet de se diriger vers la Méditerranée ou l’océan Atlantique. Nous avons une grande réserve d’eau douce, des terres fertiles pour l’agriculture, des minéraux, de l’uranium, de l’or, de l’argent, même la qualité de notre sable est excellente. Nous avons une population diversifiée et un grand patrimoine humanitaire et civilisationnel. Ce sont des éléments qui font que le Soudan intéresse de nombreuses forces régionales et internationales », explique Randa Mohammed, membre de l’Union des femmes soudanaises [Sudanese Women’s Union].

Les organisations et les forces révolutionnaires ont commencé à dénoncer le coup d’État en cours depuis fin 2021. Les caractéristiques de la guerre sont devenues plus évidentes à mesure que de plus en plus d’armes ont été apportées de l’extérieur. « Ce n’est pas seulement une guerre économique entre deux généraux, et ce n’est pas non plus un conflit entre un général national et des puissances extérieures, mais c’est un conflit mené par des agendas extérieurs qui manipulent l’environnement social. Nous sommes entourés de pays et de gouvernements qui sont totalement opposés à un nouveau gouvernement démocratique au Soudan », conclut Niamat.

Attaques contre des établissements de santé, impacts sur la vie des gens

La docteure Ihisan Fagiri, également de l’Union des femmes soudanaises, a déclaré que la guerre violente d’aujourd’hui visait essentiellement le peuple soudanais qui a combattu lors de la révolution de décembre 2018. Depuis lors, les deux camps ont commis des crimes contre l’humanité, ce qui a eu de nombreux impacts, en particulier sur le système de santé déjà fragile du pays. « Notre secteur de la santé a été affaibli par le Fonds monétaire international, ce qui a entraîné l’épuisement des ressources hospitalières et la fermeture et privatisation de tous les services de santé », explique Ihisan.

Après le déclenchement de la guerre le 15 avril 2023, l’impact sur les établissements de santé a été très grave, puisque la plupart des hôpitaux ont été occupés par les milices ou détruits par l’armée. Selon le rapport préliminaire du Comité du Syndicat des médecins, présenté par Ihisan lors de l’activité de la Marche Mondiale des Femmes, au cours des deux premières semaines de la guerre dans la capitale Khartoum, plus de 70 % des hôpitaux étaient hors service ou détruits. « Le premier hôpital occupé par la milice était la maternité d’Omdurman. Cela nous donne un indice sur leur mentalité envers les femmes et leur santé, et sur la façon dont les femmes paient la facture de cette guerre », explique Ihisan Fagiri.

La détérioration de la santé au Soudan a été exacerbée par un certain nombre d’autres facteurs, notamment les pénuries d’eau potable, l’assainissement inadéquat et le manque d’hygiène de base. La situation s’est aggravée lors de catastrophes amplifiées par la crise climatique, telles que les pluies et les inondations, qui ont détruit des maisons et laissé de nombreuses personnes sans abri dans les rues, augmentant la propagation de maladies telles que la diarrhée, le paludisme, la dysenterie et la typhoïde. De plus, la population du pays souffre de coupures d’électricité et du manque de traitement approprié des corps des victimes du conflit.

Omayma Elmardi, de la MMF au Soudan, a parlé des impacts de la guerre sur différents groupes ethniques, les femmes et les filles soudanaises. « La guerre a provoqué des déplacements massifs, des meurtres parmi les civils réfugiés, la destruction d’institutions publiques, de marchés, d’hôpitaux et de biens. Les femmes et les filles craignent pour leur sécurité personnelle dans les zones de conflit et sont soumises à toutes sortes de violences, au manque de services de santé, de nourriture, de sûreté et de sécurité ».

Migrations forcées

Les femmes et leurs familles ont été forcées de quitter leurs maisons pour fuir la violence. Ils ont eu un certain soutien des Comités de Résistance, qui sont composés de différentes entités et organisent, par exemple, la distribution de nourriture. « Mais l’aide humanitaire est très rare et limitée. Les Nations Unies disent qu’elles fournissent une aide humanitaire à cinq millions de personnes, mais au moins 15 millions ont encore besoin d’une aide humanitaire et maintenant 25 millions de la population totale du Soudan de 47 millions risquent de souffrir de la faim et de la malnutrition. Dans le camp de Zamzam, toutes les heures, deux enfants meurent », a déclaré Randa Mohammed.

Le déplacement interne de millions de personnes en raison de la violence a entraîné un afflux de réfugiés qui surpeuplent les quelques établissements de santé qui fonctionnent encore dans certaines régions, épuisant les ressources et entravant la capacité de répondre à cette importante demande de la population.

Les camps de réfugiés s’étendent au-delà des frontières du pays alors que les Soudanais demandent l’asile dans les pays voisins. En Égypte, qui abrite déjà des centaines de personnes en exil, le gouvernement a empêché les avocats d’assister les nouvelles demandes d’asile. En Éthiopie, l’augmentation de la migration soudanaise a amplifié la crise migratoire déjà présente dans le pays, qui abrite également des migrant.e.s d’autres conflits de la région.

La vie des femmes qui, à travers le monde, font face à des situations de guerre ou de dictatures a été un point de réflexion lors des deux activités. Les camarades du Soudan y ont exprimé une solidarité sans restriction avec les femmes qui résistent aux conflits et aux guerres qui se déroulent actuellement en Palestine et en République démocratique du Congo. Comme l’a rappelé Ihisan, « en général, lors de tout conflit, les épées sont pointées sur les femmes qui paient le prix de la guerre sous la forme de meurtres, d’expulsions et de viols ». Compte tenu de cela, le féminisme doit être positionné avec force dans la lutte contre les guerres, les génocides et les conflits armés motivés par la cupidité impérialiste et détruisant des vies et des communautés. Ihisan poursuit : « Nous devons mettre fin à cette guerre et obtenir des passages et des chemins sûrs et sécurisés pour la livraison de médicaments et de nourriture. L’union des femmes soudanaises préconise la participation des femmes à tous les processus de rétablissement de la paix. C’est l’étape la plus importante pour mettre fin à la guerre ».

Écrit par Bianca Pessoa
Édition et révision par Helena Zelic et Tica Moreno
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

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