L’éducation populaire en agroécologie : transformations en pratique

14/10/2022 |

Par Capire

En cette Journée internationale d'action pour la souveraineté alimentaire, nous parlons d'éducation populaire et de féminisme

Le 16 octobre marque la Journée internationale d’action pour la souveraineté alimentaire des peuples et contre les sociétés transnationales. Le principe de souveraineté alimentaire, proposé par La Via Campesina (LVC) en 1996, défend le droit des peuples à définir et à réaliser la production et la consommation d’aliments sains. Ce principe est féministe, car partout dans le monde les femmes sont principalement responsables de la production et de la préparation des aliments, que ce soit pour la subsistance ou pour la commercialisation. L’expérience accumulée a donné aux femmes des savoirs et une expertise responsables de la protection, de la culture et du stockage des semences et de la biodiversité.

Protéger, élargir et échanger entre communautés ces savoirs ancestraux, agroécologiques et forgés dans la lutte quotidienne est l’une des principales stratégies pour construire la souveraineté alimentaire. L’éducation populaire paysanne apporte de nouvelles perspectives au travail avec la terre et crée des méthodologies de formation alternatives. À partir d’une articulation internationale de Via Campesina lors du Forum social mondial de 2005 à Porto Alegre, au Brésil, un projet d’écoles d’agroécologie a été créé. Initialement prévues pour être mises en œuvre au Brésil et au Venezuela, ces écoles se sont multipliées dans d’autres pays où LVC s’articule, sur les cinq continents, et sont des expériences de transformation dans les territoires paysans. Cette année 2022 marque les 30 ans de lutte et de résistance de La Via Campesina pour les droits des paysans du monde entier.

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Expériences de formation en agroécologie

L’un des plus anciens processus d’enseignement de l’agroécologie en Amérique latine est l’École latino-américaine d’agroécologie (ELAA), située dans un important territoire de contestation pour la réforme agraire populaire au Brésil, le règlement foncier Contestado, à Lapa, Paraná. Inauguré en août 2005, il est le résultat de la construction collective et permanente de Via Campesina et des organisations brésiliennes qui en font partie, telles que le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).

Escola Latino-Americana de Agroecologia (ELAA)

Amandha Silva, militante du MST et résidente de la colonie Contestado, était étudiante au cursus en éducation rurale – Sciences naturelles avec un accent sur l’agroécologie, offert par ELAA. Actuellement, Amandha contribue à la direction politique de l’école. Lors d’une interview avec Capire, elle a rendu compte de la trajectoire d’ELAA, qui est devenue un espace important dans la promotion de l’agroécologie, y compris au niveau international. Plus de 30 mille personnes de mouvements sociaux, d’universités, d’organisations mondiales, d’écoles, de syndicats, de mouvements politiques ont visité l’école lors d’échanges, de séminaires, de cours, d’ateliers, etc. Les pratiques pédagogiques sont fondées sur le matérialisme historique dialectique et l’éducation populaire, et se nourrissent d’une perspective d’humanisation et de formation humaine. L’un des objectifs de l’école est de renforcer l’agroécologie en tant que science, pratique et mouvement. « Comprenant l’agroécologie dans ses dimensions humaine, sociale, économique et politique, ELAA a pour tâche principale de former, organiser, produire, socialiser et construire, à partir de l’éducation et de l’agroécologie, des processus visant à transformer le modèle actuel de société », explique Amandha.

L’agroécologie, c’est la confrontation avec le modèle du capital, c’est la lutte pour la reconnaissance des peuples et de leurs connaissances, c’est l’affirmation du besoin urgent de nouvelles relations des êtres humains entre eux et avec la nature.

Amandha Silva

Il existe de nombreuses expériences de transformation par l’éducation à travers le monde. Le Réseau de groupes de petits agriculteurs en Tanzanie [MtandaowaVikundi vya Wakulima Tanzanie – MVIWATA] est la plus grande organisation de petits agriculteurs du pays, avec des membres en Tanzanie continentale et à Zanzibar. Avant la vague de la « Révolution verte », les agriculteurs et agricultrices de nombreuses zones rurales de Tanzanie ont adopté des méthodes agricoles en harmonie avec leurs cultures, leurs conditions socio-économiques et leur environnement. Avec ces pratiques, ils ont pu nourrir leurs sociétés et la nation d’une manière large. Après le réveil de l’agriculture industrielle, MVIWATA s’est lancé dans une stratégie basée sur l’éducation pour renforcer les pratiques agroécologiques chez les agriculteurs des zones où ces pratiques étaient intactes, pour promouvoir la transition vers des pratiques productives plus égalitaires et saines dans les zones qui avaient été attaquées par la vague de la révolution verte, et pour redéfinir politiquement et dialoguer avec les systèmes alimentaires et la question agraire.

Theodora Emillian, une militante de MVIWATA, est l’une des coordinatrices de la formation de l’organisation. Pour elle, comprendre le contexte du travail sur le terrain localement et globalement est une étape nécessaire pour « avancer dans la lutte par graines gérées pour les agriculteurs, pour la protection de la biodiversité et pour l’environnement ». Les expériences de formation ont permis à des groupes et des réseaux d’agriculteurs de produire et de stocker leurs propres semences. « Nous avons des groupes et des réseaux d’agriculteurs qui ont destiné des zones réservées dans les communautés comme modèle pour l’apprentissage et l’échange de techniques et de connaissances. C’est le pouvoir de nombreuses personnes dans les groupes et les réseaux agissant pour transformer le récit actuel promu par le capital », déclare Theodora. La participation et la réflexion collective sont fondamentales dans les processus de formation : « Nous comprenons que chacun doit contribuer à l’apprentissage, faire des analyses, rapporter des situations et construire des solutions. C’est à partir de là que les agriculteurs apprennent entre eux ».

Au Royaume-Uni, les organisations de jeunesse sur la campagne organisent des formations pour discuter des questions pertinentes pour le nouveau militantisme. L’une de ces organisations est la Jeunesse, alimentation, terre et agriculture : mouvement pour l’égalité [Youth, Food, Land, Agriculture : a Movement for Equality – Youth FLAME], articulation des jeunes de l’Alliance des travailleurs ruraux [Landworkers Alliance], un syndicat d’agriculteurs, de producteurs, de forestiers et de travailleurs ruraux au Royaume-Uni. Nous avons parlé avec Hattie Hammans, qui fait partie de Youth FLAME et de l’articulation jeunesse de la Coordination européenne de La Via Campesina (ECVC). Hattie a partagé que, comme beaucoup d’autres jeunes, elle est venue à l’organisation parce qu’elle était préoccupée par l’avenir de l’environnement et de la nature.

« Nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’entre nous sont confrontés à des conditions très difficiles, telles qu’un salaire bas ou nul et un accès inadéquat au logement, à la nourriture et au soutien. Il est clair que sans le soutien de la prochaine génération de travailleurs et travailleuses ruraux agroécologiques, les possibilités de transformer le système alimentaire pour qu’il soit socialement et écologiquement juste sont limitées. C’est pourquoi l’agroécologie est une idée intéressante pour les jeunes, car elle unit justice sociale et environnementale et semble être la solution à de nombreuses crises qui se déroulent et menacent notre avenir », explique Hattie.

Agroécologie et féminisme

Les luttes pour l’agroécologie, la souveraineté alimentaire et le féminisme sont inextricablement liées. Le féminisme paysan et populaire, en plus d’agir pour la défense de la terre, des peuples et de la nature, est un espace fertile pour que les femmes puissent discuter, dialoguer et analyser leurs conditions de vie, ainsi que pour élaborer des critiques et des confrontations à la violence à laquelle elles sont soumises et au conservatisme dans les campagnes. Dans ces espaces, les femmes apprennent les unes des autres et se renforcent mutuellement dans la lutte pour l’émancipation.

Escola Latino-americana de Agroecologia (ELAA)

Theodora Emilian raconte que dans l’une des formations MVIWATA, les participantes ont été interrogées sur la signification du féminisme pour elles. Ensemble, elles sont arrivées à la conclusion que le féminisme se bat aussi pour l’agroécologie. « C’est la lutte pour que les femmes aient et cultivent les terres avec ce qu’elles veulent, en utilisant leurs propres semences et compétences, sans direction extérieure », explique-t-elle. Pour elle, les expériences des organisations prouvent seulement que l’agroécologie s’est avérée capable de nourrir les gens de manière sûre et de promouvoir l’autonomie des agriculteurs et agricultrices et la sécurité de leurs terres, semences, pratiques et droits. Ce qui, dans le cas des femmes, est la garantie d’une vie digne pour elles-mêmes, leurs familles et leurs communautés. C’est la garantie d’une vie et d’un travail guidés par l’autonomie et la camaraderie, réduisant les hiérarchies avec les époux et les autres hommes dans les communautés.

C’est aussi à partir de l’éducation populaire à la campagne et de ses perspectives critiques que les femmes se rendent compte que le privé est politique. Dans cette réflexion, la centralité du féminisme et la lutte des femmes sont mises en évidence comme centrales dans les processus de lutte des mouvements sociaux mixtes. « Nous croyons en l’éducation émancipatrice, qui construit des processus de formation de la conscience à travers le renforcement et l’humanisation des sujettes », explique Amandha Silva. Pour elle, « le féminisme paysan et populaire émerge des territoires où le débat rejoint la lutte, où l’oppression résonne pour la libération. C’est un instrument politique, de confrontation, de lutte quotidienne, de résistance, qui cherche l’émancipation des paysannes, qui ne se limite pas à une libération des paysannes au sens de revendications individuelles, mais collectives ».

Écrit par Bianca Pessoa avec le soutien de Viviana Rojas
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

 

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