Jujuy est la province la plus septentrionale de l’Argentine, limitrophe du Chili et de la Bolivie. Elle est actuellement gouvernée par la coalition des partis de centre et de droite Juntos por el Cambio (Ensemble pour le changement, en français), en alliance avec l’un des partis centenaires argentins, l’Union civique radicale. À Jujuy, les gens ont faim et les salaires sont misérables. C’est pourquoi la grève des enseignantes et enseignants a eu autant de soutien cette fois-ci, impliquant les écoles primaires, secondaires et supérieures, les syndicats, les Association des éducateurs de la province (Asociación de Educadores Provinciales – ADEP) et le Centre des Enseignants de l’École Secondaire et Supérieure (Centro de Docentes de Enseñanza Media y Superior – CEDEM).
Au premier jour de la grève, le 5 juin, il a été décidé en assemblée que la mobilisation se poursuivrait indéfiniment. La plupart des participants sont des enseignantes. Le troisième jour, l’Association des travailleurs de l’État (ATE) a rejoint la grève. Les agentes et agents de santé dans les hôpitaux ont appelé à une grève de 72 heures pour exiger une augmentation de salaire.
Le soutien social augmentait pendant près de dix jours, jour après jour. Les enseignantes et enseignants qui sont descendu.e.s en masse dans la rue étaient l’avant-garde d’un peuple fatigué de voir ses droits violés.
Historique de la répression
Dix jours après l’entrée en fonction de Gerardo Morales en tant que gouverneur, en décembre 2016, il a ordonné l’arrestation de Milagro Sala, dirigeant de Túpac Amaru, la plus grande organisation territoriale de la province de Jujuy. Morales maintient sa persécution contre ce secteur et ne manque pas une occasion de manifester en faveur de l’exploitation des ressources naturelles, de la livraison de ressources à des secteurs étrangers et contre les manifestations sociales. Ces prises de position font partie de sa campagne, alors qu’il aspire à participer aux élections présidentielles d’octobre 2023. Au cours des huit dernières années, il y a eu peu de protestations et de mobilisations, avec des conflits syndicaux isolés impliquant des travailleuses et travailleurs de l’éducation, des mines et des fonctionnaires municipaux, entre autres.
Après la pandémie, les conflits entre l’État et les travailleurs et les communautés se sont intensifiés. La répression en réponse aux luttes territoriales a également commencé à augmenter. L’autoritarisme de Morales était présent jusqu’au 8 mars dernier, contre les compagnes qui manifestaient sur la place centrale de la capitale, San Salvador de Jujuy, avec la devise « La dette est avec les femmes ».
Contre une réforme antidémocratique
Parallèlement à la demande de salaires, la répudiation de la réforme constitutionnelle de Jujuy, débattue à huis clos par les membres de la Commission constituante locale, a commencé à être à l’ordre du jour de la mobilisation. Les deux plus grands partis politiques – Juntos por el Cambio/UCR et Partido Justicialista –, parce qu’ils ont la majorité, n’ont même pas tenu à présenter le texte de la proposition aux orateurs invités.
À la mi-juin, des électeurs de gauche et des représentants kirchnéristes ont démissionné de la commission, mais le reste du Parti justicialiste a continué à approuver cette réforme illégitime. Jeudi soir (15), ils ont approuvé la réforme en tournant le dos au peuple, tandis qu’à San Salvador et dans toutes les villes de la province, de gigantesques marches aux flambeaux, caractéristiques des manifestations argentines, ont été organisées.
Le rejet de la réforme a mobilisé des secteurs des classes populaires et de la classe moyenne. Les enseignantes et enseignants de la province, qui étaient déjà en grève illimitée, luttant contre une négociation salariale difficile, ont été les premières et premiers à procéder à la confrontation. Ils sont dans la rue depuis plus longtemps. Cependant, lorsque le contenu de la réforme constitutionnelle a été révélé, d’autres syndicats et organisations les ont rejoints.
De manière générale, la réforme concentre le pouvoir au sein de l’exécutif, affecte les droits des communautés autochtones et les droits collectifs, tels que le droit de manifester. Tant à Jujuy qu’à Salta, provinces qui ont adopté des lois interdisant le droit de manifester, le conflit s’intensifie avec l’expansion des activités extractives, ce qui peut expliquer l’absence de débat public et la précipitation à adopter la réforme.
Qui combat actuellement à Jujuy
Mercredi (14), les communautés autochtones ont décidé de se déplacer à pied de la ville d’Abra Pampa, dans la région montagneuse de Puna, à San Salvador, à 210 kilomètres de distance. Sous des températures glaciales, elles sont parties en marche, s’arrêtant pour dormir dans les municipalités de Tilcara et Yala. Elles sont arrivées vendredi matin, et ont été accueillies par des centaines d’enseignant.e.s sur les bords des routes et dans la ville de San Salvador.
Vendredi (16), un comité intersyndical a organisé un arrêt général, avec une forte adhésion. La population a décidé de se concentrer en masse dans la capitale de Jujuy, formant une marche qui occupait plus de 15 pâtés de maisons, avec des chansons populaires, des expressions culturelles et artistiques et de nombreux instruments portés par des professeures et professeurs de musique.
Mardi dernier (20), une manifestation impliquant divers secteurs a eu lieu pendant que le gouverneur présentait la Constitution réformée dans un théâtre de la région centrale de la capitale. Et les actions se sont poursuivies, avec une grève nationale des enseignants appelée par la Confédération des Travailleurs de l’Éducation de la République Argentine (CTERA), une grève nationale des travailleurs publics appelée par l’ATE et une journée nationale de lutte des centres ouvriers, avec une mobilisation à la Maison provinciale de Jujuy, l’organisme officiel de la province situé dans la capitale du pays, Buenos Aires.
Les barrages routiers ont été effectués principalement par des communautés de peuples autochtones. Les femmes sont les principales porte-paroles des revendications. Du jour au lendemain, au milieu de l’avancée de l’extraction du lithium, les communautés ont été confrontées à un article du projet de réforme de la constitution locale qui prévoit l’expulsion immédiate de ceux qui n’ont pas de titre de propriété.
Parmi celles et ceux qui manifestent figurent également des enseignant.e.s ruraux, qui réclament depuis des années des titres fonciers et luttent contre l’extraction du lithium et pour la défense de l’eau. À la tête de ces gigantesques mobilisations se trouvent les femmes des villages, avec leurs filles et leurs fils. Toute la population de Jujuy sait que le lithium est une source d’énormes richesses, mais que presque aucune de ces richesses ne lui parvient. Les mégaprojets économiques appartiennent à de grandes transnationales qui attaquent la nature et la biodiversité des montagnes. Maintenant, en plus de l’abrogation de la réforme constitutionnelle, la mobilisation exige la démission de Gerardo Morales.
En outre, ils ont arrêté illégalement plus de 50 manifestants, étudiants, leaders syndicalistes, des parlementaires, des avocats, des journalistes, et d’autres enseignants ont été blessés, battus ou transférés sans que leurs familles reçoivent la moindre information.
La lutte continue
La grève se poursuit indéfiniment, exigeant des améliorations salariales, avec un grand soutien des citoyennes et citoyens qui soutiennent la lutte des enseignants. Face à la répression, à l’avancée de la réforme de la Constitution, à la violation des consultations préalables et l’interdiction de la manifestation, l’Assemblée nationale des peuples de Puna a décidé de bloquer toutes les routes nationales qui donnent accès au Chili et à la Bolivie également indéfiniment. La mesure ne sera suspendue qu’avec le rétablissement de la Constitution originale de la province et la démission du gouverneur.
Les organisations nationales de défense des droits humains demandent également un arrêt urgent de la réforme. La CTA autonome, l’Intersyndicale Féministe et d’autres organisations du camp populaire ont signé un document qui stipule « qu’il n’y a pas de démocratie si la protestation sociale est persécutée et stigmatisée, car c’est à travers elle que les peuples historiquement organisés ont gagné leurs luttes et leurs droits ». Manifester n’est pas un crime! # JujuyResiste
Alicia Raquel Coca est membre de la Marche Mondiale des Femmes en Argentine et de la Central de Travailleurs d’Argentine – Autónoma (CTA Autónoma).