Échange de savoirs et d’expériences des luttes pour la défense des forêts

07/07/2023 |

Capire

Des militantes du Mouvement mondial pour les forêts tropicales et de la Marche Mondiale des Femmes partagent leurs réflexions

La contribution du féminisme aux luttes pour la défense des forêts et de leurs communautés est de mettre au centre le rôle des femmes dans la durabilité de la vie humaine et non humaine. Contre la colonisation capitaliste, la division sexuelle et raciale occidentale du travail et les modes de production destructeurs et usurpateurs, le féminisme élabore une critique antisystémique et s’allie aux communautés attaquées à travers le monde. Il s’inscrit dans une vision féministe, anticapitaliste et antiraciste de dénoncer la déstructuration des communautés qui fuient les schémas hégémoniques, et le renforcement de leurs savoirs, résistances et modes de vie. Lorsque les sociétés transnationales occupent des territoires, elles renforcent le patriarcat, remodèlent les relations sociales et transforment des communautés de différentes parties du monde en victimes de cette exploitation.

Le capitalisme dépend du contrôle de la nature, du travail et du corps des femmes. Et à mesure que les grandes entreprises entrent dans les communautés, établissant leurs mégaprojets et leurs modèles de fonctionnement, le contrôle et l’exploitation capitalistes progressent également. Pour réfléchir aux défis différents et similaires auxquels les femmes et des communautés entières sont confrontées dans le monde lorsque leurs territoires sont occupés par ces entreprises, les membres du Mouvement mondial pour les forêts tropicales et de la Marche Mondiale des Femmes ont organisé un échange de connaissances et d’expériences entre le 14 et le 17 mai, à Parelheiros, São Paulo, Brésil.

L’échange, une méthodologie des mouvements

Les échanges sont un moyen de fournir des échanges de savoirs entre militantes de territoires différents. « C’est un outil politique et pédagogique, car en visitant de nouveaux territoires de luttes, en y mettant nos pieds, nous sommes mieux à même de reconnaître les différentes voix de résistance qui s’y trouvent : les personnes âgées, les femmes, les jeunes, qui sont des sujets politiques qui, lors de grands événements, ne peuvent souvent pas s’exprimer autant. Dans les territoires, on voit mieux comment la vie peut s’organiser », explique Natália Lobo, de la Marche Mondiale des Femmes au Brésil. Dans les territoires en conflit, les échanges sont aussi des moments de démonstration de soutien et de solidarité, qui renforcent les résistances locales et nous permettent de voir les proximités systémiques entre des conflits apparemment locaux.

Lors de cette réunion tenue en mai, des personnes des mouvements populaires d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine qui luttent pour la justice environnementale, l’agroécologie et la souveraineté alimentaire étaient présentes. Militantes des mouvements paysans et écologistes, ces personnes sont actives dans la lutte pour le territoire et contre l’économie verte.

L’échange a été l’occasion de discuter et de partager des défis, tels que l’avancée de la frontière agricole et l’économie verte, avec ses méga-entreprises minières, la montée des monocultures telles que l’eucalyptus et l’huile de palme, l’accaparement des terres et les politiques de financiarisation de la nature. C’était aussi l’occasion de vivre et d’échanger des expériences, des idées et des connaissances qui unissent les communautés et leurs luttes. Pour Claudia Guillén, de Chiapas, Mexique, « la vie des territoires a aussi de la joie et pas seulement l’avancement des mégaprojets ». Selon elle, l’expérience de l’échange est aussi une démonstration de la capacité de résistance et « une force dirigée par des femmes ».

Pour Aminata Finda Massaquoi, militante en Sierra Leone, l’expérience de travail avec des femmes d’une autre région du monde a été un moment de compréhension de la façon dont les femmes de son pays et les femmes du Brésil ont des défis communs. Elle considère que « dans cette région du monde, d’autres femmes sont confrontées à ces défis, mais elles continuent à faire des efforts malgré tout. C’est une lutte et une bataille continue. C’est bien de savoir qu’on n’est pas seules, car la plupart du temps on n’en peut plus, mais on retrouve les mêmes luttes partout. ».

Aminata a également souligné les aspects communautaires du travail agroécologique des femmes dans le Vale do Ribeira, une région de l’État de São Paulo que le groupe a visitée. Le groupe a pu entendre, directement de ces femmes, comment elles accomplissent leur travail collectivement et quels sont les impacts positifs pour la communauté. « Récupérer ces connaissances, c’est aussi récupérer les histoires de mes ancêtres », a conclu Aminata.

Féminisme et jeunesse pour la défense des forêts

La réflexion sur le rôle du féminisme dans la lutte a été à la base de nombreux débats, y compris sur le rôle des jeunes dans les communautés. La jeune indonésienne Wiwiniarmy Andilolo a partagé que dans son pays il est courant de stigmatiser les populations autochtones et rurales par une jeunesse influencée par le discours hégémonique urbain. « Les jeunes préfèrent vivre une vie plus ‘confortable’ dans la grande ville, car ils n’ont pas ce sentiment d’appartenance. Les jeunes générations ont tendance à se sentir différentes et séparées de la communauté. », raconte Wiwiniarmy.

Face à ce piège désagrégeant, articulé par l’avancée du capitalisme, les communautés traditionnelles s’efforcent de maintenir vivants leurs savoirs à partir du lien avec le territoire et la nature, et avec des modes de vie plus partagés, créant des ponts entre l’urbain et le rural, le moderne et l’ancestral. « Je reviendrai dans ma ville après avoir terminé mes études dans l’autre ville, et je vais faire quelque chose de similaire à ce que la communauté a fait ici. Il n’est pas nécessaire d’être à la frontière de notre propre communauté pour être transformée par de nouvelles perspectives, et c’est exactement ce que nous faisons maintenant », rapporte Winwin.

La participation politique des femmes a un impact direct sur la vie communautaire. Lorsque les femmes s’organisent, leurs communautés ont tendance à être plus conscientes des risques que les grandes entreprises peuvent faire peser sur le territoire. Parce qu’elles sont responsables de tâches fondamentales pour soutenir la vie et agréger les communautés, les femmes apportent des perspectives différentes sur l’avancement du capitalisme et du marché, ayant un plus grand engagement pour la protection de leurs territoires. Un exemple est celui apporté par Natalia Lobo à propos de l’expérience dans le nord-est du Brésil, où les femmes sont actives dans la lutte contre les entreprises d’énergie éolienne. « Dans ces communautés, les militantes de la MMF sont organisées en associations, dans des espaces mixtes, et elles ont dit qu’elles étaient les premières dans les associations et dans les espaces d’organisation à dire ‘non’ à l’énergie éolienne », explique-t-elle.

Au Chiapas, au Mexique, ainsi que dans plusieurs régions africaines, les femmes sont en première ligne dans la lutte contre les monocultures de palmiers à huile. Les entreprises impliquées dans la production d’huile de palme dans les pays du Sud combinent la force militaire, l’exploitation de la main-d’œuvre et l’accaparement des terres pour réaliser plus de profits dans l’extraction de la matière première. Les impacts dans la vie des communautés sont nombreux, y comprenant une violence accrue contre les femmes et les filles et le travail précaire et privé de leurs droits. Conscientes des risques que représente l’avancement de ces entreprises pour la reproduction de la vie, les femmes s’organisent et renforcent les liens entre les agendas du féminisme et de la justice environnementale.

Pour Claudia, la lutte des compagnes du Chiapas contre la monoculture du palmier à huile ressemble à la lutte des Brésiliennes pour la souveraineté énergétique, car ce sont des résistances difficiles, mais elles sont organisées avec irrévérence : « Ainsi que les compagnes du Chiapas, les compagnes font face ici aussi à des processus très difficiles et violents, et qui pourraient sans aucun doute endurcir nos cœurs. Mais la gentillesse et la tendresse avec lesquelles nous avons été reçues, l’étreinte, la nourriture et la joie avec lesquelles elles ont partagé leurs territoires avec nous sont quelque chose de beau et de très inspirant ».

Au cours de l’échange, Natalia a rappelé une chanson du mouvement agroécologique brésilien qui dit que « sans la femme, la lutte va de moitié ». Et partout dans le monde, là où le capitalisme progresse, il y a aussi une résistance des femmes dénonçant la destruction des sociétés transnationales, qui sont un ennemi commun de nombreux territoires.

Écrit par Bianca Pessoa et Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

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