Agroforesterie, féminisme et agroécologie : entrelacer les savoirs et les actions des femmes

16/05/2022 |

Par Capire

Les femmes de l'agroécologie et de l'agroforesterie du Brésil sèment la diversité et l'organisation collective

Les femmes du mouvement agroécologique et agroforestier ont affirmé leurs formes de lutte et de relation avec la nature, qui se manifestent par leur souci de la reproduction de la vie humaine et non humaine sur terre. C’est dans le but de se renforcer mutuellement, d’échanger des expériences et d’organiser des luttes communes que plus de 100 femmes issues des mouvements agroécologique, agroforestier et féministe brésilien ont organisé un événement satellite du 5ème Congrès mondial d’agroforesterie.

Les femmes du mouvement agroforestier brésilien se sont consacrées à la création du Réseau de soutien aux femmes de l’agroforesterie (RAMA). Le RAMA a été créé en 2019 à partir d’un grand rassemblement qui a réuni près de 90 femmes autochtones, agricultrices familiales, agents de vulgarisation et étudiantes. Il représente la force que prend actuellement le féminisme, dans lequel les femmes sont plus conscientes du rôle politique central du soin qu’elles prennent de la nature. Même pendant la pandémie, les femmes du RAMA se sont organisées pour se soutenir mutuellement dans des efforts collectifs, lors de programmes de solidarité de dons alimentaires venant des campagnes au profit des périphéries des grandes villes, de la diffusion des expériences et de la construction d’un vaste réseau de soutien.

La compréhension croissante du féminisme au sein du mouvement agroforestier rapproche les femmes de ce mouvement du mouvement agroécologique au Brésil. Les femmes sont donc les protagonistes de cette alliance. Il en résulte une politisation du mouvement agroforestier, qui se limite parfois trop à l’élaboration et à la diffusion de techniques de culture et perd de vue des thèmes centraux comme la réforme agraire et la souveraineté alimentaire.

Le mouvement agroforestier est moins politisé que le mouvement agroécologique, et la force des femmes vient remplir le rôle de nous articuler et de former des réseaux plus larges, pour s’unir contre cette barbarie que nous vivons. 

L’union de nos mouvements est la graine d’une grande agroforesterie qui grandira et foisonnera, car les femmes sont comme l’eau : elles grandissent lorsqu’elles se rencontrent. 

Le renforcement de cette alliance entre les femmes des deux mouvements se tisse également dans cet environnement de congrès académique, qui met à l’ordre du jour la question de la production de connaissances. Les femmes du mouvement agroécologique affirment que lorsqu’elles critiquent l’agrobusines, elles ne critiquent pas seulement un modèle de production et de consommation, mais aussi une manière androcentrique et patriarcale d’être et d’être dans le monde qui annihile les autres modes de connaissance et d’existence.

L’agroécologie se présente comme une alternative à ce modèle à partir de nombreux fronts de lutte : occuper les rues lors de manifestations publiques, diffuser la production des savoirs des peuples et des femmes, produire des aliments sains et construire des marchés de solidarité qui favorisent l’accès à ces aliments pour les personnes les plus pauvres. Faire de l’agroécologie, c’est aussi s’opposer à la violence militarisée et de plus en plus technicisée dans les campagnes.

Femmes agricultrices

Les femmes qui sont des leaders sur leurs territoires (comme les présidentes d’associations et de coopératives) relèvent le défi ardu d’affirmer l’agroécologie comme une forme de production et, en même temps, d’affirmer leur propre position de leader. Elles jouent un rôle politique important dans les colonies de la réforme agraire au Brésil contre les initiatives politiques favorisant la propriété individuelle des parcelles de la colonie, une pratique qui favorise l’achat et la vente de terres publiques sur le marché au détriment de l’utilisation collective des zones.

Ils parlent des titres fonciers comme d’un avantage, mais ce qui nous donne du pouvoir, ce n’est pas d’avoir un titre, c’est d’avoir la terre. C’est donner des terres à ces familles qui sont au bord de la piste, dans la file d’attente pour l’os à ronger. Nous voyons de belles images d’agroécologie, de compagnons qui travaillent, qui chantent en travaillant dans leur jardin, mais nous savons que cela se passe dans le même pays où les gens font la queue dans les décharges pour obtenir de la nourriture. 

Les agricultrices agro-écologiques soulignent que ce qu’elles ont appris du mouvement a changé leur façon de travailler la terre. À partir des connaissances qu’elles ont acquises sur l’agroécologie et l’agroforesterie, elles ont créé un type de savoir spécifique qui combine leurs connaissances traditionnelles avec ce qu’elles ont appris du mouvement. Elles affirment également que l’agroforesterie est une façon de travailler en faveur du flux de la vie, car lorsque l’agriculture est en faveur de la diversité, les plantes elles-mêmes s’occupent les unes des autres. La diversité des cultures se traduit également par une plus grande variété dans l’alimentation des familles, qui commencent à manger de manière plus diversifiée lorsqu’elles élargissent la diversité de leur propre production.

En s’appropriant l’agroécologie et l’agroforesterie, les femmes resignifient ces domaines. Les paysannes mexicaines, par exemple, soulignent l’importance de la cueillette des aliments, d’herbes médicinales et de champignons dans les agroforêts, montrant ainsi que tout ce qui est important pour les communautés ne provient pas nécessairement de l’agriculture. En revendiquant leur droit à la cueillette, elles remettent en cause la propriété privée et luttent pour un accès libre aux forêts afin de tirer leur subsistance de la nature. En affirmant leur relation avec la nature, elles construisent également une autre rationalité économique, fondée sur les biens communs et sur les échanges au-delà de la propriété privée et du marché.

Elle a plus de variété et donne du baume au cœur. On y trouve beaucoup de nourriture et les plantes elles-mêmes servent d’engrais, on a besoin de moins de choses extérieures, et on laisse de la richesse dans le sol où non seulement l’être humain va vivre, mais aussi les petits animaux. 

Après avoir commencé à croire en cette forme d’agriculture, l’avenir est devenu plus rose. 

Dans le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) du Brésil, les femmes sont en première ligne de la campagne « Plantez des arbres et produisez des aliments sains ». La campagne insère la mise en œuvre de l’agroforesterie comme axe stratégique du mouvement, dont l’agroécologie est l’un des principes depuis longtemps. Les femmes du mouvement ont remarqué que c’était après l’action contre Aracruz Celulose en 2006 qu’elles ont commencé à élaborer sur la centralité des femmes et des soins dans le mouvement. Ce processus a même changé leur organisation au sein du MST.

Les femmes agricultrices ont beaucoup de connaissances qui ne sont pas prises en compte par le monde universitaire parce qu’elles ne sont pas basées sur les connaissances des hommes. Nous devons nous rappeler qu’il est bon d’avoir des soins, de l’affection, au centre, et que c’est une forme de connaissance très importante. Nous ne pouvons pas revenir sur cette conception. 

Parler d’agroforesterie, c’est parler de terres divisées, de réforme agraire, de réforme agraire populaire.

Défis féministes

La question de la technologie est centrale dans la construction de l’agroécologie et de l’agroforesterie par les femmes. Elles s’opposent à la production de technologies pour l’agrobusiness, qui se traduisent par des mécanismes de surveillance des territoires. C’est le cas de l’avancée de l’utilisation des drones, du géoréférencement et des capteurs de toutes sortes dans ce qu’on appelle l’agriculture 4.0. Contre ce type de technologie, très semblable aux technologies qui ont dominé les campagnes pendant la révolution verte et qui ont causé d’innombrables dommages à la vie des peuples et des communautés, elles affirment la construction de technologies sociales qui peuvent être utilisées en faveur des femmes. C’est particulièrement important à l’heure où les politiques de vulgarisation rurale sont démantelées au Brésil, et où l’idée se répand que l’assistance technique à l’agriculture familiale pourrait se faire en ligne, via des applications.

À partir de cet échange intense d’expériences, les femmes commencent à se demander pourquoi les hommes sont encore considérés comme les autorités pour parler d’agriculture agroforestière. Il est très courant que les expériences agroforestières considérées comme « réussies » soient connues à travers de figures masculines, qui apparaissent toujours au premier plan comme les créateurs des expériences. Lorsque l’on regarde de plus près l’histoire, il s’avère que la plupart des expériences d’agroforesterie collective ont commencé par l’implication et le travail des femmes, qui ont investi dans cette façon de travailler. En général, c’est après le succès de l’expérience que les hommes commencent à s’intéresser et, parfois, à boycotter la participation des femmes, qui ne sont pas écoutées et ne voient pas leur travail valorisé dans les efforts collectifs.

 L’agroforesterie est à nous, les hommes se la sont appropriée, effrontés qu’ils sont ! 

Cela témoigne de la nécessité d’orienter le renforcement et la diffusion des expériences agroforestières réalisées par les femmes, qui occupent généralement des terrains plus petits, qui sont destinées à l’autoconsommation des familles et des communautés, et qui sont plus diversifiées et plus productives.

 L’agroforesterie des femmes n’a pas peur. C’est une forêt courageuse. Nous n’avons pas peur qu’il y ait des mauvaises herbes, car nous y allons et nous nettoyons, nous savons ce que nous avons à faire. Nous n’avons pas peur de la biodiversité, des animaux qui vont venir, de la diversité du sol, nous sommes plus audacieuses. Ils vont tout simplifier. 

Occuper des espaces

Les femmes sont prêtes à mener ce combat dans les endroits les plus variés de la société : dans leurs familles, leurs communautés, leurs mouvements, dans la politique institutionnelle, dans le monde universitaire. Au Congrès brésilien d’agroécologie de 2017, par exemple, il y avait un espace officiel ayant pour thème « la mémoire de l’agroécologie », composé uniquement d’hommes. En réponse, les femmes ont non seulement occupé cet espace portant les noms de plusieurs femmes qui ont construit l’histoire de l’agroécologie, mais elles ont également construit, dans un espace auto-organisé, une frise chronologique de l’histoire des femmes en agroécologie. Ce type de mouvement doit se faire plus largement, y compris au sein du mouvement agroforestier, dans les collectifs de femmes travaillant ensemble.

 Lorsque nous sommes plusieurs femmes, nous nous sentons toutes plus puissantes, plus valorisées. Quand il y a des femmes au premier plan, les autres se réjouissent. C’est pourquoi nous devons occuper les espaces. 

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Les informations contenues dans ce texte proviennent d’une systématisation de l’activité « Agroforesterie, féminisme et agroécologie : entrelacer les savoirs et les actions des femmes ». Les citations directes proviennent du discours de certaines femmes qui ont assisté à l’événement.  L’activité a eu lieu le 26 avril 2022, virtuellement, et a été organisée par la Marche Mondiale des Femmes du Brésil, le Groupe de travail des femmes de l’Articulation nationale de l’agroécologie (GT Femmes de l’ANA), le Réseau de soutien aux Femmes de l’agroforesterie (RAMA) et le Mutirão Agroflorestal.

Rédaction de Natalia Lobo et Isabela Curado
Traduit du portugais par Claire Laribe

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