1000 km à vélo contre les féminicides

29/08/2022 |

Par Marie-Hélène Fortier

Ce texte rapporte l’expérience d’ultracyclisme accompli par Marielle Bouchard et reprend plusieurs de ses propos, ainsi que ceux de personnes rencontrées sur la route

Au Québec, la militante féministe Marielle Bouchard s’est donné le défi de parcourir 1000 km à vélo contre les féminicides. L’aspect ambitieux de l’épreuve se trouve dans l’échéance : L’effectuer le plus rapidement possible. Pour Marielle, cela voulait dire en trois jours. 

Si le projet a jailli de la volonté d’accomplir un défi personnel d’ultracyclisme, c’est la force de la conviction qui a mobilisé ses coups de pédales jusqu’à la fin.  « J’en avais beaucoup, je n’avais pas l’option d’abandonner par manque de motivation ».

L’idée lui est venue en décembre dernier, soit sept mois avant la réalisation de l’épreuve. L’été précédent, elle avait déjà accompli 500 km en mode ultracyclisme, elle avait eu mal, et ce pendant longtemps. Comme elle prévoyait doubler cette distance, cela ne pouvait pas se faire sans raison, « faudrait que ça serve à quelque chose ».

Choisir de pédaler contre les féminicides

Pour mettre en contexte, Marielle est une cycliste habituée, mais travaille et milite aussi à la défense des droits des femmes sans emploi, en d’autres mots, à la lutte à la pauvreté des femmes. Durant la crise sanitaire, elle a constaté un phénomène nouveau et inquiétant. À plus d’une reprise, alors que ce n’était pas le sujet de l’appel, des femmes lui partageait avoir craint pour leur vie. On lui disait : « je pensais vraiment que j’allais être la prochaine ». 

Être la prochaine victime d’un féminicide, voilà de quoi il était question. Durant les dernières années, au Québec, comme ailleurs dans le monde, on a enregistré une hausse importante de féminicides. Un couple sur six vit dans un contexte violent au Québec. Pour chaque féminicide, c’est plus de 16 000 femmes vivent un climat malsain à la maison.

Il fallait parler de violence, il fallait parler de féminicides, le point de départ était là. Marielle a voulu élargir les discussions pour dépasser le cadre conjugal afin d’aborder les facettes cachées. Elle a donc choisi d’amasser des fonds pour la Maison de Marthe. Cet organisme communautaire vient en aide aux femmes qui désirent se sortir de situation d’exploitation sexuelle liée à la prostitution. Pour reprendre les mots d’une femme qui fréquente cet organisme :

La Maison de Marthe est un phare dans ma vie. Elle indique qu’elle sera là pour mes moments de folie et de désespoir et elle me montre que je ne suis pas la seule à s’être perdue dans les flots de la vie. D’autres femmes comme moi ont été piétinées et toutes ensemble, nous apprenons à nous relever.

Cynthia Dionne, survivante

La campagne de financement servait de véhicule pour mener à bien le double objectif du 1000 km à vélo : l’objectif personnel de se dépasser et l’objectif collectif de provoquer une discussion sur les féminicides.

Jusqu’où?

De la Ville de Québec, Marielle a prévu effectuer 1000 km en direction de la Côte-Nord pour se rendre à Natashquan. Ce trajet frappe l’imaginaire par ses grandes côtes qui caractérisent la route, mais est surtout fort de sens puisque la Côte-Nord présente un taux de violence conjugale nettement supérieur aux autres régions du Québec. De plus, le trajet croise plusieurs communautés autochtones.

Les femmes autochtones sont surreprésentées parmi les victimes de féminicides et pourtant, on en parle peu. Au Canada, elles représentent le quart des femmes tuées alors qu’elles constituent 4% de la population. Le Québec ne fait pas exception aux autres endroits dans le monde où le colonialisme et le racisme maintiennent des rapports sociaux inégalitaires. Les communautés vivent encore les conséquences intergénérationnelles des pensionnats autochtones, alors que les décideurs peinent à nommer les mots « génocide culturel » pour qualifier les violences et les abus que les familles autochtones ont subis. Marielle voulait entendre ce que les personnes sur son passage avaient à dire sur les violences.

Jour du départ

Mercredi, 27 juillet 2022, après de mois de préparation, à 5h15 le matin, des ami·e·s, des camarades et des groupes de femmes sont présentes pour encourager Marielle, mais aussi, échanger sur la conjoncture au Québec au sujet des féminicides. On assiste à des prises de paroles qui provoquent l’émoi et soulève la révolte. À ces émotions sont mélangées la gratitude et l’admiration portée envers Marielle à qui l’on a souhaité bonne route en scandant « Pas une de plus! »

On avait un peu d’inquiétude, mais surtout de la confiance en ses capacités et en ses convictions. De la conviction, elle n’en a pas manqué. Des rassemblements se sont organisés sur le parcours, pour la motiver à deux niveaux : par des encouragements et par l’indignation. Les rassemblements provoqués par son parcours ont permis des échanges sur les féminicides, une incroyable couverture médiatique, des rencontres avec des personnes endeuillées, des témoignages d’histoires injustes, des récits à soulever l’émoi. Les raisons collectives se multipliaient sur son chemin pour la faire avancer.

Un coup de pédale à la fois, un kilomètre à la fois

Marielle était bien préparée, n’empêche que les côtes, la chaleur, la douleur aux genoux et la déshydratation ont aussi croisé son chemin. Au début de la deuxième nuit, elle et l’équipe technique ont eu à prendre une décision, celle d’attendre plus d’une dizaine d’heures que les vents et les rafales à 50 km/h de côté se calment, parce qu’en pleine nuit, sous des averses soutenues, c’était une question de sécurité qui était en jeu. Cette décision signifiait que le défi serait complété lors de la 4e journée et non avant la fin de la 3e tel que visé. Ce moment représente ce qu’elle a trouvé de plus difficile, mais elle n’a jamais douté qu’elle arriverait à se rendre jusqu’au bout.

Marielle a dosé chaque coup de pédale afin de se maintenir dans la bonne intensité pour arriver à bon port sans se blesser. Elle devait aussi demeurer attentive à la réponse à ses besoins de s’hydrater, se nourrir, se crémer et répéter en boucle continuellement. Ses équipes techniques étaient là pour lui rappeler ces éléments essentiels et assurer sa sécurité. Comme quoi, on ne fait jamais rien de complètement seule.

En effet, des gens qui connaissaient le défi et sa cause l’encourageaient sur son passage. Des regroupements féministes, membres de la coordination nationale du Québec de la Marche mondiale des femmes, ont appelées à la mobilisation. Parmi les rencontres en découlant, il y a eu celles dans la communauté de Pessamit où Marielle a bénéficié d’échanges inspirant avec Kathy Picard du Conseil des Innus de Pessamit. Cette dernière a partagé son souhait que pour les « générations futures, [les femmes autochtones] soient des humaines pour tout le monde ». Elle a remis à Marielle une robe rouge, symbole des luttes des femmes autochtones et leurs alliées pour exiger une enquête au sujet des femmes et des filles autochtones disparues. Kathy Picard a mandaté Marielle de transporter la robe rouge jusqu’au point d’arrivée.

Marielle Bouchard

Objectifs atteints

Marielle a réussi à accomplir 1000 km en 66 heures 22 minutes. C’est un exploit ! L’autre réussite, c’est que sur le plan social, les gens en ont parlé dans les trois régions où passe le trajet et a atteint un média national. L’émerveillement face à l’exploit de Marielle obligeait à aborder le sujet qui la propulsait.

Plus d’une l’a nommé, il y a des parallèles très intéressants à faire avec les femmes prises dans des situations violentes. On voit par exemple le lien avec le ce chemin parsemé d’embûches qui est à l’image de ce que les femmes doivent surmonter. C’est ce qui a été dit lors du rassemblement de départ : « Les femmes doivent affronter des épreuves olympiennes pour se sortir de la violence, et malheureusement, certaines n’y parviennent pas. » Les situations de violence exigent une vigilance constante pour assurer sa propre sécurité.

L’entretien pour cet article s’est déroulé dix jours à la suite de la réalisation du 1000km et Marielle doit encore s’en remettre. Elle traine une fatigue et a eu un grand besoin de s’hydrater et de se nourrir les 24h à 48h suivant l’atteinte de l’objectif. Le corps peut endurer beaucoup, mais il nécessite aussi du temps de récupération. Une fois sorti d’une situation inconfortable, tout ne s’arrête pas là, il faut s’adapter et retrouver son équilibre.

Mélanie Leblanc

Pas une de plus!

Grâce à cette épreuve, la discussion a été entamée, mais il faut la continuer. L’un des messages que Marielle a martelé lors de son parcours, est qu’un féminicide n’est jamais vraiment une surprise, mais bien l’aboutissement d’un processus dans lequel on aurait socialement dû intervenir. Il faut agir en amont pour prévenir une prochaine victime. À chaque fois qu’un féminicide survient, il exige une remise en question de nos structures.

Pourtant, l’expertise est là, il suffit d’écouter les groupes de femmes qui sont bien ancrées dans les communautés depuis plus de 50 ans. Ces organisations, supportées à bout de bras par des femmes ont des propositions concrètes. Il est nécessaire de leur offrir les ressources et entendre leurs critiques afin de réellement rebâtir la confiance.

Durant le périple, nous avons appris le décès d’une nouvelle victime de féminicide, Audrey-Sabrina Gratton. Ce n’est pas un chiffre de plus, c’est une personne avec des goûts, des intérêts, des habitudes, des ami·e·s,  de la famille… C’est un vide provoqué, par un système qui n’a pas encore réussi à empêcher la violence envers les femmes. Envers toutes les femmes.

Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche!

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Marie-Hélène Fortier fait partie de la coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes. Avec informations du portail Le Soleil.

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