« Je suis une création de la Révolution cubaine », a récemment déclaré au Magazine Mujeres la poète, traductrice et critique littéraire Nancy Morejón. L’auteure propose la poésie comme un bien commun, une expérimentation en faveur de la paix, de la transformation et de la justice sociale. Nancy a un rôle actif dans les circuits artistiques de Cuba, ayant été, pendant des années, directrice du Centre d’études caribéennes de la Casa de las Américas.
Elle a reçu quatre fois le Prix de la critique pour ses livres Nación y mestizaje en Nicolás Guillén [Nation et métissage chez Nicolás Guillén] (1982), Piedra pulida [Pierre polie] (1986), Elogio y paisaje [Louange et décor] (1997) et La Quinta de los Molinos [La Quinta des Moulins] (2000). En 2001, elle a remporté le Prix National de Littérature de Cuba et en 2006 le Prix International de la Couronne d’Or de Macédoine. En cette année 2023 elle devait être nommée présidente d’honneur du Marché de la poésie de Paris, mais sa nomination a été retirée. L’exclusion a déclenché une campagne de solidarité internationale envers le peuple cubain, qui souffre des multiples formes de blocus et de pression impérialiste. La campagne a réuni des organisations politiques du monde entier et des collectifs artistiques tels que le Mouvement mondial de la poésie.
« Une femme noire engagée depuis des années dans la lutte pour la paix, contre le racisme et les inégalités sociales et de genre et pour la liberté des peuples » : c’est ainsi que la Fédération des femmes cubaines [Federación de Mujeres Cubanas – FMC] décrit Nancy Morejón. Pour la FMC, l’événement est une manifestation de violence politique. « C’est une nouvelle attaque de la guerre culturelle contre Cuba, contre une femme qui se tient aux côtés des femmes cubaines et partage leurs batailles pour l’émancipation, qui a présents dans son œuvre poétique des rêves et des défis qui dépassent nos frontières. », elle a déclaré dans une note à la Fédération.
Dans un communiqué, l’Union internationale des éditeurs de gauche a dénoncé les secteurs conservateurs qui ont poussé au retrait de la nomination, liés au PEN Club français. « Cette décision va non seulement à l’encontre de tous les principes de la liberté d’expression et des idées, mais se rend aussi aux exigences de la censure de la droite et légitime les attaques systématiques des États-Unis, de l’Europe et des intérêts du capitalisme mondial contre la culture et la société cubaines ».
Dans les réseaux sociaux, parallèlement aux manifestations de soutien, le hashtag #CubaEsCultura a été largement utilisé. Et, pour diffuser l’accès à cette culture et soutenir la reconnaissance artistique des femmes combattantes dans le monde, nous publions ci-dessous trois poèmes de Nancy Morejón en traduction libre du Capire : « Requiem pour la main gauche », « Cimarrones »1 et « Renaissance ».
Requiem pour la main gauche
Pour Marta Valdés
Sur une carte, il est possible de tracer toutes les lignes
Horizontales, verticales, diagonales
Du méridien de Greenwich au golfe du Mexique
Que plus ou moins
Appartient à notre idiosyncrasie
Aussi il y a des cartes grandes, grandes et grandes
Dans l’imaginaire
Et des infinis globes terrestres
Marta
Mais aujourd’hui j’ai le sentiment que sur une très petite carte
Minimale
Dessinée sur une feuille de cahier d’écolier
Peut rentrer toute l’histoire
Toute.
Cimarrones
Quand je regarde en arrière
et je vois tellement de noirs
quand je lève les yeux
ou je les baisse
et ceux que je vois sont noirs
quelle joie de nous voir si nombreux
tellement ;
on nous appelle la ‘minorité’
et pourtant
je nous vois encore
C’est ce qui honore notre lutte
sortir dans le monde et continuer à nous voir,
dans les Universités et les Favelas,
dans les Métros et les Gratte-ciel,
entre virages et mutations
balayant la merde
accouchant des vers.
Renaissance
Fille des eaux de la mer
endormies dans ses entrailles,
je renais de la poudre
qu’un fusil de guérilla
a étalé sur la montagne
pour que le monde renaisse à son tour
pour faire revivre toute la mer,
toute la poudre
toute la poudre de Cuba
- Cimarrón c’est, dans certains pays d’Amérique hispanique, la désignation des descendants d’Africains et Africaines qui ont résisté à la domination coloniale espagnole et à l’esclavage, construisant des colonies et des communautés indépendantes dans des régions éloignées de l’endroit où ils ont été réduits en esclavage. Aujourd’hui, le mot continue d’être utilisé par les militant.e.s noir.e.s qui revendiquent cette histoire de résistance. [↩]