La crise est-elle seulement climatique en Océanie?

08/11/2022 |

Par Françoise Caillard

Dans le cadre de la COP27, Françoise Caillard analyse les défis féministes face à la militarisation accrue de la région

Foto/Photo: Delphine Mayeur

Le cadre de mon intervention se situe dans une approche de décolonisation et de déconstruction patriarcale. L’Océanie est une des régions les plus vastes du monde. C’est un continent discret et pourtant riche en cultures, en traditions et bien sûr en biodiversité. Il comprend actuellement 25 pays répartis en plusieurs régions1. Parmi eux 14 pays sont indépendants tandis que trois pays francophones sont sous tutelle française : la Polynésie française (Tahiti), Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie.

Le déchainement de crises successives

Une crise en chasse une autre. Certains parlent aujourd’hui de « permacrise ». Après deux ans de pandémie, c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui survient. Puis plus près de nous, c’est les tensions entre les États unis et la Chine autour de Taiwan, avec, en toile de fond, toujours, les impacts du changement climatique.

Dans un monde aussi anxiogène, les océaniens ont de plus en plus de difficulté à trouver du sens à cette masse de crises. Ils essaient tant bien que mal de tirer leur épingle du jeu.

L’Océanie a toujours été confrontée à de multiples crises, la plupart d’origine extérieure. Elles sont d’ordre sanitaire — rougeole et covid —, social — le colonialisme, racisme, exclusion et des inégalités —, identitaire — la misère culturelle par manque de repère des jeunes  —, politique  — colonialisme puis néo colonialisme et aujourd’hui impérialisme sur fond de menace de conflit armé  —, economique  — dépendance alimentaire  — et, enfin, climatique  — insécurité physique humaine.

Notre approche féministe de la crise climatique ne peut donc être dissociée des autres crises dites « d’importations » subies par les populations océaniennes.

Pour nous, le changement climatique n’est qu’un multiplicateur du « stress » distillé par les enjeux et les stratégies politiques du capital.

Les océaniens sont devenus des « consommateurs » non seulement de produits manufacturés et énergétiques, en produisant du CO2, mais aussi consommateurs de moyens de défense de leur territoire menacé de terrorisme, selon ceux qui veulent nous protéger. Cette politique d’assistance généreusement conseillée développe une dépendance très forte aux aides extérieures.

Par exemple le mois dernier, les Etats-Unis viennent d’octroyer une enveloppe de 99 milliards de dollars aux océaniens à travers le Forum des Iles du Pacifique. Les 16 dirigeants des pays océaniens se sont retrouvés à Washington afin « d’évoquer les questions de développement, de relations économiques et de changement climatique et discuter des relations stratégiques».

Selon un communiqué de la présidence de la Polynésie, « les États-Unis ont réaffirmé au plus haut niveau leur volonté forte de soutenir le développement des membres insulaires du Forum des îles du Pacifique. Ils ont présenté plusieurs des initiatives existantes et des mécanismes économiques, financiers à leur disposition. » Les discussions autour du changement climatique ont, quant à elles, été le fait « d’un plaidoyer pour une alliance forte et renouvelée avec les pays du Pacifique afin de faire avancer la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat à la COP27 en soulignant le poids moral des pays océaniens sur le sujet » , indique le communiqué.

On voit bien la stratégie paternaliste envers les peuples océaniens au motif de « les sécuriser » aussi bien en matière de lutte contre le réchauffement climatique qu’en matière de développement économique.

La sécurité est devenue le leitmotiv de la présence militaire accrue dans notre région soi-disant pour protéger les zones maritimes exclusives mais en réalité c’est pour faire face à l’influence grandissante de la Chine.

On constate que dans la gestion de ces deux crises, climatique et sécuritaire, les pays du Pacifique sont de plus en plus dépendants des grands Etats qui les entourent et les colonisent. Les pays océaniens sont réduits à avoir un « poids moral » dans la COP 27, comme dixit John Kerry, l’envoyé spécial du président des Étas-Unis Joe Biden pour le climat.

C’est pourquoi l’approche féministe de la crise climatique doit être analysée dans une approche globale prenant en compte toutes les crises agitant la société océanienne actuelle.

Comment les femmes océaniennes peuvent-elles contribuer à la préservation de leur environnement naturel et culturel et à la défense et la préservation de la Paix dans notre zone géographique?

Nous savons que partout dans le monde les femmes forment le groupe social le plus durement touché par la violence due au réchauffement climatique et par les conflits armés et ce, principalement en raison de leur genre. Il en est de même en Océanie. Ce sont les hommes qui sont « au poste de commandement » des affaires tandis que les femmes sont trop souvent mises à l’écart.

En tant que citoyennes océaniennes nous ne voulons pas être des actrices passives sans résistance.

Il semble que les instruments internationaux comme la déclaration de Beijing, la recommandation de l’article 30 du CEDEF (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes), la résolution 1325 du Conseil de sécurité, l’Accord de Paris sur le Climat et le Plan d’Action pour le Pacifique pourraient être des opportunités dans une certaine mesure pour introduire la parité et l’approche genre dans les discussions et décisions relatives aux crises que traverse notre région.

Les crises renforcent les rapports de hiérarchie et d’oppression. Il est de notre devoir de créer des alternatives citoyennes et féministes pour que l’Océan bleu continue de nous combler de ses merveilles et qu’il puisse être légué intact aux générations futures appelées à vivre dans une région sans conflit ni guerre.

Intervention dans le cadre du séminaire “La crise climatique et les interventions féministes”, réalisé par la Marche Mondiale des Femmes – région Asie – le 14 octobre 2022.

Françoise Caillard fait partie du Comité International de la Marche Mondiale des Femmes pour la région Asie-Océanie.

  1. En Polynésie, les Îles Cook, Îles Pitcairn, Niue, Polynésie française, Samoa,  Samoa américaines, Tokelau, Tonga, Tuvalu, Wallis-et-Futuna. En Mélanésie, Fidji, Îles Salomon, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Vanuatu. En Micronésie, les États fédérés de Micronésie, Guam, Îles Marshall, Kiribati, Mariannes du Nord, Nauru, Palau. Et, ainsi, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. []

Edition de Tica Moreno

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