La crise constitutionnelle au Sri Lanka et les luttes pour un nouveau gouvernement

01/07/2022 |

Par Nalini Rathnarajah

Lisez l'article de Nalini Rathnarajah sur le début de la crise et ses effets sur la vie des femmes

La famille Rajapaksa est la principale responsable de toutes les violations des droits humains commises au Sri Lanka au cours des 40 dernières années, notamment pendant la guerre, jusqu’en 2009, et après, lorsque de nombreuses personnes ont disparu, ont été enlevées et tuées. Mais comme nous vivons depuis 27 ans dans une guerre séparatiste avec les Tigres pour la Libération de Tamil Eelam (Liberation Tigers of Tamil Eelam – LTTE), la majorité de la population soutenait les frères, les considérant comme des héros de guerre. Gotabaya Rajapaksa était secrétaire à la Défense pendant le conflit, donc, lors des dernières élections, en 2018, les gens ont voté pour lui à la présidence. Son frère aîné, Mahinda Rajapaksa, était président jusqu’en 2015.

En 2015, nous avons eu un changement dans le pays, avec le gouvernement du Parti national uni, mais cet atout n’a pas duré longtemps. La famille Rajapaksa est revenue au pouvoir avec le slogan « un pays, une loi », un programme antimusulman lié au temps de guerre. Cet agenda s’est encore renforcé après l’attaque de Pâques[1] revendiqué par l’État islamique. À cette époque, les gens croyaient vraiment qu’un gouvernement antimusulman empêcherait une nouvelle guerre civile dans le pays. La famille a ensuite reçu plus de soutien des bouddhistes cinghalais, qui constituent la majorité de la population, investissant toujours dans des slogans attrayants pour profiter du racisme et de l’extrémisme religieux lors des élections.

Avec tous ces problèmes historiques, la famille est arrivée au pouvoir, mais n’a pas réussi à gérer les finances du pays. En raison de sa nature autoritaire et de sa mauvaise gestion, en 2021, le gouvernement a fait écrouler les réserves de change du pays pour payer une dette interne de deux milliards de dollars américains. Ils ont pris l’argent parce que nous avions un grand nombre de prêts de la Chine, par exemple, le quatrième prêteur du Sri Lanka, derrière les marchés financiers internationaux, la Banque asiatique de développement et le Japon. Le pays avait reçu des milliards de dollars de la Chine sous forme de prêts subventionnés, mais la nation insulaire a été submergée par une crise monétaire qui, selon certains analystes, a poussé le pays au bord du moratoire.

En 2021, le gouvernement a dégradé ses réserves de change pour payer une dette de 2 milliards de dollars. En 2022, les prêts de 500 millions et de 1 milliard de dollars arrivent à échéance en janvier et en juin respectivement. Le Sri Lanka devra rembourser environ 7,3 milliards de dollars de prêts nationaux et internationaux. Cependant, en novembre, les réserves de devises étrangères disponibles dans le pays ne s’élevaient qu’à 1,6 milliard de dollars.

Les 20 % des familles sri-lankaises les plus riches détiennent environ 53 % de tous les revenus du pays, tandis que les 20 % les plus pauvres n’en reçoivent que 4,5 %. Les inégalités sont violentes et le pays est pris dans le piège de la dette.

Pour cette raison, le gouvernement est incapable d’acheter le carburant, les engrais et la nourriture nécessaires, ce qui devient un problème majeur et affecte surtout les couches inférieures de la population. La situation du carburant est extrêmement grave. La pénurie entraîne des coupures dans l’énergie du pays. Les machines ont besoin de carburant pour fonctionner. Sans électricité, les usines, les bureaux et les entreprises ne fonctionnent pas. L’industrie du vêtement et l’industrie exportatrice de thé – épines dorsales des recettes en devises étrangères – ne peuvent pas produire pour répondre à la demande des acheteurs et du marché. Puisque les femmes représentent la plus grande main-d’œuvre dans ces secteurs, elles sont les plus touchées, perdant leurs emplois et leurs sources de revenus.

Il n’y a pas de travail adéquat dans les plantations et pour les agriculteurs depuis 2021, en raison de la pénurie d’engrais. Il n’y a pas de récoltes décentes cette année, affectant les agriculteurs et agricultrices qui n’ont maintenant aucun revenu, et le pays qui n’a pas de nourriture. La pénurie de carburants conduit la population à faire face à des files d’attente de kilomètres pour acheter de l’essence et du gaz de cuisson. Les mères sortent à la recherche d’essence et de nourriture pour leurs enfants.

Des gens meurent dans les hôpitaux sans médicaments ni oxygène. La Banque mondiale estime qu’environ 500 mille personnes sont passées sous le seuil de pauvreté depuis le début de la pandémie de covid-19. La situation s’aggrave maintenant. Les prix des aliments courants ont augmenté de plus de 15 %. Les emplois ont été réduits et les revenus vitaux en devise étrangère provenant du tourisme, qui contribuent généralement à plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB), ont considérablement diminué. Plus de 200 000 personnes ont perdu leur source de revenus dans le secteur du voyage. Tout cela est le résultat de la mauvaise gestion de la famille Rajapaksa. Nous avons parlé pendant des décennies des droits humains, de la bonne gouvernance et de la crise constitutionnelle, et les gens nous traitent comme des traîtres à la nation.

Mobilisations populaires

Au début, les prêts de la Chine étaient justifiés par la promesse faite à la population que Colombo, la capitale du Sri Lanka, deviendrait un nouveau Singapour, une ville portuaire développée. Puis les gens ont commencé à se rendre compte qu’ils avaient été trompés et ont commencé à protester. Ces protestations ont été si fortes et ont tellement fait pression que le président a imposé un gouvernement intérimaire et a demandé au premier ministre, son frère Mahinda Rajapaksa, de démissionner. Avant cela, d’autres ministres étaient déjà partis. Les manifestants demandent également la démission du président. Nous exigeons que toute la famille quitte la politique.

La racine de tout ce problème est que la Constitution donne des pouvoirs excessifs au président, au pouvoir judiciaire et au pouvoir législatif. Nous devons promouvoir un amendement constitutionnel qui en fasse une Constitution populaire, et non une lettre de protection aux dirigeants. Les dirigeants ne devraient pas pouvoir faire ce qu’ils veulent avec les fonds et l’économie d’un pays sans que la population puisse les interroger.

Avant, quiconque les remettait en question ou les critiquait était kidnappé ou tué, ou bien ils inventaient une histoire pour les arrêter. Maintenant, nous exigeons un nouveau gouvernement. Les femmes luttent contre cette situation, mais la priorité est donnée aux besoins fondamentaux. La nourriture, l’eau et le gaz sont les fondements de la vie et ne sont pas accessibles aujourd’hui. Les femmes représentent 80 % de la population travaillant dans l’industrie du vêtement et l’agriculture, les deux secteurs les plus touchés. Et à mesure qu’elles perdent leur emploi, la crise ne fait que s’aggraver. De plus, en raison des prix élevés, les femmes du secteur informel n’ont plus de produits à vendre ni de personnes pour les acheter.

Il existe trois principaux groupes ethniques au Sri Lanka : les Tamouls, les Musulmans et les Cinghalais. Politiquement, les partis divisaient les femmes par ethnie. De plus, nous étions divisées au niveau régional. Les femmes musulmanes soutiennent les partis politiques musulmans et ainsi de suite. Nous travaillons ensemble parmi certaines d’entre nous, mais la plupart des femmes sont séparées dans leurs luttes. La raison est la même : les 40 dernières années de conflit séparatiste. Ce ressentiment et cette division sont enregistrés dans l’inconscient. Ces femmes sont également touchées par les crises économiques et constitutionnelles, elles doivent donc s’unir.

Un autre aspect est le faible pourcentage de femmes en politique en Asie du Sud. Nous ne sommes que 5,8 % au Parlement. Dans les gouvernements locaux, nous avons atteint un quota de 25 % en 2018. En matière de politique, aucun parti, quelle que soit son ethnie, sa religion ou sa région, ne donne la priorité aux femmes ou ne reconnaît leur participation aux tables de décision. Mais dans ces manifestations, nous pouvons voir de nombreuses jeunes femmes se battre en première ligne. La lutte consiste à ouvrir des espaces pour que ces femmes puissent participer à la politique, car les problèmes et la violence auxquels nous sommes confrontées aujourd’hui sont tous promus par des dirigeants masculins.

Nous avons obtenu le droit de vote des femmes en 1931 au Sri Lanka. Plus de 90 ans se sont écoulés, mais au Parlement, nous n’avons que 13 femmes sur 225 sièges. Si nous voulons un pays avec égalité et dignité pour les femmes et les minorités ethniques et religieuses, si nous voulons que tous les citoyens vivent dans des conditions égales, jouissent des mêmes opportunités et de la même participation, nous avons besoin d’une Constitution qui respecte les droits humains de tous et de toutes. Cela permettra aux personnes d’avoir leurs droits garantis, avec un accès à la justice sociale.


[1] Le jour de Pâques 2019, huit bombes ont été déclenchées dans plusieurs villes et localités, dont trois églises et des hôtels haut de gamme. Plus de 250 personnes sont mortes et environ 500 ont été blessées.


Nalini Rathnarajah est une militante politique féministe sri-lankaise et défenseure des droits humains. Elle vit maintenant à Colombo, la capitale du pays.

Édité par Bianca Pessoa et Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : anglais

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