Formation à la transformation : méthodologies féministes

13/10/2022 |

Par Nalu Faria

Nalu Faria présente une analyse sur le rôle de l'éducation populaire et féministe dans les processus éducatifs

SOF

Notre méthodologie d’éducation populaire, féministe et décoloniale est dérivée de notre vision de la transformation du monde, de la lutte populaire et de ce que nous comprenons comme le rôle des constructions des sujets politiques. Elle est donc liée à l’organisation du mouvement. Cette organisation implique toujours le processus de formation politique, de communication, de mobilisation et d’action. La formation a lieu à des moments précis, comme dans les écoles, les cours et les séminaires, mais elle fait également partie de la façon dont nous nous organisons dans le mouvement, de manière plus permanente et quotidienne.

Souvent, une mobilisation ou une action de rue a aussi ce rôle de formation. 

Notre rôle en tant qu’éducatrices est essentiel pour que la formation ait la capacité d’identifier et de développer une vision des conflits qui sont souvent invisibles. L’expérience et la façon dont nous avons été socialisé(e)s et éduqué(e)s nous amènent à développer des compétences au sein d’un paradigme hiérarchique. L’éducation populaire nous amène à la nécessité d’une action collective pour la transformation, dans un processus cohérent entre pensée critique et pratique. L’objectif est de grande envergure et implique la déconstruction et la reconstruction permanente à différents niveaux. Regarder le monde dans son intégralité implique de traiter plusieurs éléments à la fois, tels que les peurs, les motivations, les conflits, l’estime de soi, les préjugés, les incertitudes et bien d’autres.

L’éducation populaire doit faire partie d’un projet d’organisation populaire qui implique la formation politique, la communication, la mobilisation et l’action basées sur la construction collective du savoir. Dans l’éducation populaire, le travail de groupe est essentiel pour assurer cette construction collective des connaissances. Le groupe est fondamental pour que nous puissions sortir de la perception individuelle des problèmes et en comprendre la construction sociale.

Le processus pédagogique a cet objectif de construction collective du savoir dans une perspective critique et émancipatrice, qui doit s’exprimer dans une pratique concrète de construction politique plus large. Notre rôle, en tant qu’éducatrices, est d’organiser et de valoriser que le groupe en formation se constitue en collectif, contribuant à une dynamique participative, d’intégration, de construction de liens affectifs et d’identité collective qui se matérialiseront dans la construction d’une organisation politique pratique.

Premières étapes : accords et arrangements

Développer des activités d’éducation populaire avec des groupes nous permet, tout d’abord, de travailler avec des expériences plus diverses. La définition des objectifs d’un processus éducatif dépend des points de départ, des différentes accumulations. Les activités de formation sont toujours définies en tenant compte du public avec lequel nous travaillerons. Un processus initial, de base, a des objectifs différents de ceux des groupes d’approfondissement, ou même de la formation des formateurs, etc.

Dans tout processus éducatif, il est important d’établir des combinaisons, relatives par exemple à la ponctualité, à la répartition des tâches, au temps et à la participation. Nous devons convenir, par exemple, que le mot doit être socialisé. Ces combinaisons nous donnent les éléments pour réfléchir à toutes les questions qui doivent être développées dans le groupe. Dans un processus plus long, en plus d’être enregistrées, ces combinaisons doivent être rappelées.

Dans un long processus, la dynamique du groupe peut être plus intense, des conflits et des tensions peuvent émerger. Penser à ces questions combinées exige de la sensibilité : lorsque nous travaillons à partir des expériences des groupes sur le féminisme, le racisme et l’expérience LGBTQIA+, nous travaillons avec des thèmes très sensibles. Par conséquent, il est toujours très important qu’il y ait un accord de confidentialité entre ces personnes : ce que les gens racontent de leur expérience — par exemple, si quelqu’un a été victime de violence — est un secret entre les participantes. Ce que nous pourrons socialiser et discuter avec les autres, c’est la réflexion acquise et partagée. Toutes les personnes doivent se sentir en sécurité pour pouvoir parler, sachant que leurs problèmes personnels ne seront pas signalés ou documentés sans leur volonté.

Participation

Notre rôle, en tant qu’éducatrices et facilitatrices, est de veiller à ce que le groupe soit véritablement participatif. Pour cela, il est très important de se concentrer sur la dynamique et les relations. Dans le travail d’éducation populaire, la préoccupation n’est pas seulement de savoir comment développer le contenu, mais d’observer comment le groupe fonctionne, comment les personnes du groupe sont en relation les unes avec les autres et comment ce groupe est, en fait, un groupe et non une somme de personnes.

Cela implique de créer de la confiance, des liens et un sentiment de sécurité. C’est pourquoi il est si important, au tout début de toute activité, de faire un moment de présentation : que les gens se reconnaissent, se perçoivent et nouent des liens et des relations.

Lorsque nous disons que nous partons de l’expérience et de la réalité, cela signifie également savoir non seulement ce qu’ils savent du contenu, mais quelles sont leurs perceptions, leurs croyances et même leurs préjugés. L’éducation populaire se fait aussi par la décolonisation et la construction de la pensée critique.

Élaborer des réflexions

Surmonter la dichotomie entre raison et émotion est au cœur de notre vision féministe. Cela est évident lorsque nous introduisons des activités corporelles et ludiques, mais cela se trouve dans tout. La façon dont nous discutons et réfléchissons n’est pas séparée de l’expérience et de la subjectivité.

Notre rôle en tant qu’éducatrices est de faire en sorte que cette réflexion se produise. Souvent, cela part moins de ce qui est présenté et plus de ce que le groupe, en tant que collectif, construit et élabore.

En ce sens, il est important de réfléchir à notre position dans le groupe. Dans l’éducation populaire, nous questionnons et proposons de rompre avec les hiérarchies. Pourtant, nous, les éducatrices, avons un rôle et une position différents dans le groupe. Nous avons la responsabilité de diriger ce groupe, d’être la personne qui aide à créer des liens et des relations de confiance. Par conséquent, les gens ont souvent tendance à demander à l’éducatrice.

Souvent, notre rôle est plus de demander que d’apporter les réponses ; c’est plus de commenter pour que les gens puissent parler et échanger leurs impressions et leurs idées.

La construction de la pensée critique n’est pas automatique, elle passe par plusieurs niveaux. Et la réflexion est ce qui génère la construction de la conscience, ainsi que les instruments pour penser l’action. En général, nous avons trois questions qui traversent les débats : quel est le problème auquel nous voulons nous attaquer ? Pourquoi cela arrive-t-il ? Et comment pouvons-nous le résoudre ?

Créativité féministe

Lorsque nous sommes en mesure de nous assurer que le groupe en formation fonctionne vraiment comme un collectif, cela devient un processus de construction de l’identité collective, de la spontanéité, de la créativité et de la pensée critique parmi les participantes.

L’apprentissage dans l’éducation populaire part d’une vision opposée à celle de l’éducation traditionnelle, qui nous considère comme des conteneurs de contenu. La colonisation et l’aliénation tendent à nous empêcher d’exercer notre spontanéité et notre créativité. C’est pourquoi, dans l’éducation populaire, nous cherchons également à travailler avec d’autres langues, telles que le dessin, le théâtre, la musique et la danse. C’est un moyen pour les gens de développer d’autres compétences, y compris de libérer leur propre spontanéité et leur créativité. De cette manière, en tant que processus de déconstruction et de reconstruction, nous renforçons la pensée critique et travaillons sur les valeurs libertaires et la solidarité.

Nous avons également travaillé sur cette dimension avec le mysticisme, dans une compréhension large, qui traverse l’ensemble de notre action, ayant différentes formes d’expression, telles que nos symboles, nos chansons, nos slogans.

La formation en trois moments

À partir de nos expériences, nous avons développé une façon de penser qui divise l’activité de formation en trois moments. La première phase de formation, que nous appelons accueil, c’est le moment de l’arrivée, qui sert à éliminer le champ tendu. Chaque personne vient avec ses angoisses et ses anxiétés. La réception est le moment de concentrer les gens, de les amener à ce moment présent.

Dans une activité de formation, nous utilisons généralement l’accueil pour le travail et la conscience corporelle, ce qui peut se produire sous diverses formes, comme un massage ou une danse. Il est temps de travailler sur des dynamiques qui renforcent les liens au sein du groupe. Un exemple de dynamique que nous avons faite était une boîte surprise dans laquelle nous avons demandé à chaque personne d’écrire une qualité de celle qui était à sa droite et une qualité de celle qui était à sa gauche. Ensuite, nous avons fait un tirage au sort des qualités et demandé au groupe qui a cette qualité ou vertu. De cette façon, les gens reconnaîtront ces qualités et vertus chez plus de personnes, au-delà de celles du premier stade de la dynamique.

Après chaque dynamique, nous avons demandé comment les gens se sentaient. Cette question apporte la perception du moment — si c’était bon, si c’était constructif, elle apporte la dimension subjective et nous donne des éléments sur lesquels nous devons travailler. Parler de sentiment est une façon de travailler la subjectivité et d’avoir des éléments à gérer avec les relations dans le groupe.

Le deuxième moment est celui de développement du thème. Nous partons donc d’une dynamique en divisant le groupe en plusieurs mini-groupes. Il y a différentes façons de proposer que les mini-groupes apportent des réflexions initiales : ils peuvent créer une scène de théâtre, faire des collages avec des coupures de journaux, créer une émission de radio. Après la présentation du groupe, il est important de prendre le temps de parler de ce que le groupe a apporté et de ce qu’il a ressenti pour accomplir cette tâche. En plus de réfléchir sur le contenu, ils développent leur créativité et leur spontanéité. L’éducatrice peut voir si tout le monde participe, s’il y a un engagement, s’il y a quelqu’un qui est laissé de côté, s’il y a des doutes. À la fin de ce moment, la systématisation et l’approfondissement du sujet sont réalisés. Le développement du thème n’est pas donné à l’avance : il est transformé et défini en fonction de la discussion.

Le dernier moment est une évaluation. Il est important de ne pas terminer un processus de formation sans évaluation, même si c’est en un mot. Cette évaluation présentera ce que le groupe a ressenti et ce qui est resté. C’est aussi un moment opportun pour parler de la méthodologie travaillée. C’est un moyen d’apprendre ce qu’est la méthodologie et de la démystifier, en comprenant que cela peut être un sujet de toutes.

Être éducatrice, c’est aussi transformer

Une éducatrice doit avoir de la flexibilité et de la patience. Cela passe par un processus profond de notre connaissance de soi, qui est en train de se constituer. Par conséquent, il est très important que nous prenions également un moment pour évaluer nos propres pratiques. Dans le mouvement, dans l’équipe avec laquelle nous travaillons, nous devons réfléchir à ce qui fonctionne ou non, y compris pour percevoir les parties qui nous sont difficiles. Par exemple, parfois, dans un groupe, nous avons plus de patience avec certaines personnes qu’avec d’autres. Il est important que nous cherchions à comprendre en nous-mêmes comment fonctionne notre patience.

Cela fait partie de ce processus de connaissance de soi d’identifier nos difficultés et comment elles influencent également la dynamique du groupe. Cela s’applique également aux conflits dans le groupe. Nous ne pouvons pas penser que nous pouvons résoudre tous les conflits du groupe, mais nous pouvons créer un espace pour en parler. La formation doit être un espace où les gens peuvent exprimer leur perception et, à partir de là, chercher des éléments pour les résoudre, de manière collective, en apprenant du processus.

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Cet article est basé sur une présentation faite lors de la École des facilitatrices organisée par la Marche Mondiale des Femmes, l’Alliance des peuples pour la Justice Mondiale [Grassroots Global Justice Alliance], Grassroots International et le Réseau Environnemental Autochtone [Indigenous Environmental Network – IEN]. L’École des facilitatrices a été une étape postérieure à l’École internationale des organisations féministes (IFOS en anglais). Bientôt, nous publierons un article axé sur l’expérience de l’École des facilitatrices. 

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Nalu Faria fait partie du Comité international de la Marche Mondiale des Femmes, représentant les Amériques.

Traduit du portugais par : Andréia Manfrin Alves
Édition par Bianca Pessoa, Helena Zelic et Tica Moreno

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