Alternatives féministes aux dilemmes de l’humanité : affronter le capitalisme dans le présent

14/11/2023 |

Par Ana Priscila Alves

Lisez le discours sur les stratégies internationalistes de l'organisation anticapitaliste, tenu lors de la conférence Dilemmes de l'humanité

Photo: Rafael Stédile

La Marche Mondiale des Femmes est ancrée dans une tradition internationaliste. C’est aussi le fruit du combat de toute une vie de la compagne Nalu Faria. Nous suivons les tâches que Nalu nous a laissées — qui sont nombreuses, pour nous toutes et tous, combattants et combattantes du monde qui l’avons rencontrée, qui ont croisé son dévouement, son engagement et ses accumulations.

Je commencerai donc par deux réflexions que Nalu nous a toujours apportées. La première est l’importance de construire l’internationalisme, de comprendre que les luttes socialistes et féministes sont antisystémiques et doivent être internationales, entre camarades du monde entier. La deuxième réflexion porte sur l’importance du processus ; non seulement l’importance de cet espace que nous construisons aujourd’hui, mais le processus qui nous a amenées ici et aussi ce qui est déclenché à partir de cet espace.

L’organisation contre la mondialisation

Dans quel état sommes-nous, travailleurs et travailleuses, aujourd’hui ? Notre organisation est une réponse et une construction alternative pour transformer les conditions dans lesquelles nous vivons. Dans quels scénarios naissent les mouvements sociaux ? Comment s’organise la lutte ? Au Brésil, par exemple, entre 1964 et 1985, nous avons vécu une dictature militaire, dans un processus qui, paradoxalement, a fait émerger plusieurs mouvements sociaux actuels, tels que le Mouvement des travailleurs sans terre (MST – Movimento dos Trabalhadores Sem Terra), la Centrale Unique des Travailleurs (CUT – Central Única dos Trabalhadores), l’Association Nationale des étudiants diplômés (ANPG – Associação Nacional de Pós-Graduandos), et plusieurs autres.

Puis, dans les années 1990, nous avons vécu un moment où l’impérialisme nous a imposé un projet de mondialisation, internationalisant davantage l’économie néolibérale de précarité de nos vies. En Amérique latine, en particulier, on a essayé de nous imposer la ZLEA, un accord de libre-échange. À ce moment-là, dans la transition des années 1990 aux années 2000, l’organisation des mouvements créait deux voies : certains pensaient que contester cet agenda d’institutionnalité pouvait apporter des opportunités ; nous, d’autre part, pensions que ce n’était pas le cas. Nous avons compris que c’était très similaire aux conditions dans lesquelles nous vivions déjà, et que ce projet essayait de nous approfondir et de nous piéger dans une condition de subordination.

Les Nations Unies (ONU) ne nous représentaient pas, et nous avons compris que la lutte et les réponses nécessaires ne pouvaient venir que des travailleurs et travailleuses. Dans ce contexte de néolibéralisation, la Marche Mondiale des Femmes, la Via Campesina et d’autres mouvements ont émergé, avec la compréhension que si l’oppression est internationale, notre réponse — notre socialisme, notre féminisme — doit également être internationale.

La classe ouvrière et ses dilemmes actuels

Aujourd’hui, nous vivons une nouvelle inflexion du système capitaliste. Nous voyons que le système capitaliste n’attaque pas seulement le travail, mais nos vies. Le capitalisme est incompatible avec la vie. Nous le voyons aujourd’hui dans la confrontation de nos camarades en Palestine. Nous l’avons également vu ces dernières années lors de la pandémie, car pendant que les gens mouraient dans les pays du Sud, un vaccin était déjà prêt et inaccessible. À l’époque, nous étions nombreux à comprendre que les luttes pour briser les brevets et contre les entreprises pharmaceutiques transnationales s’inscrivaient dans le cadre d’une lutte de solidarité internationale de la classe ouvrière.

La période de pandémie a entraîné un remaniement du travail, ce qui a été encore plus difficile pour les femmes. D’une part, nous avons assisté à un approfondissement de l’ubérisation, non seulement dans le travail des plateformes à proprement parler, mais aussi dans la flexibilisation de tous les droits. D’autre part, même dans ces conditions précaires, les femmes ont été expulsées de ce marché du travail. Au Brésil, en 2020, 96 % des personnes qui ont perdu leur emploi formel étaient des femmes, selon l’enquête sur le Rapport annuel d’information sociale (Rais). Cette tendance a eu lieu non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Aujourd’hui, nous avons beaucoup plus d’hommes que de femmes sur le marché du travail économiquement actif.

Les crises du capital sont nécessaires pour recomposer les profits, mais aussi pour recomposer leurs chaînes d’exploitation, dont fait partie la division sexuelle du travail. Les crises vont de pair avec des politiques d’austérité, de réduction de l’État et de ses systèmes de santé, d’éducation publique et de soins. Lorsque le marché nous expulse du marché du travail et que l’État se retire de ces tâches, le message qu’ils nous transmettent est qu’il s’agit d’une responsabilité des femmes. Qu’ils veulent nous renvoyer à la maison pour que nous nous occupions des malades, des enfants, des personnes âgées et aussi des hommes, qui sont sur ce marché du travail économiquement actif de plus en plus écœurant.

Pour le système capitaliste, toutes ces tâches de soins incombent aux femmes.

Ana Priscila Alves

Cette condition soulève deux éléments : le premier est que le travail salarié n’est pas une règle ni pour les pays du Sud ni pour les femmes. Il existe un certain nombre d’emplois non formels et non rémunérés. La seconde est la construction capitaliste de fausses dichotomies, telles que la production et la reproduction, publique et privée, raison et émotion. Toutes sont faites pour rendre invisible le travail gratuit effectué par les femmes. Le travail de reproduction de la vie soutient l’économie. Supposer que les femmes seront responsables des soins nous impose une précarité structurelle, marquée par le système capitaliste, patriarcal et raciste et la division internationale du travail.

Alternatives féministes pour changer le monde

Le féminisme, qui est en fait le capitalisme peint en lilas, ne nous sert pas. Le féminisme a besoin d’être populaire, de démanteler les fondements de ce système capitaliste qui nous opprime partout dans le monde. Nous apportons comme alternative une économie féministe, capable de mettre la vie au centre. L’économie est l’ensemble des tâches qui assurent la vie et permettent à la société de continuer à fonctionner.

Comprenant que le conflit du capital contre la vie structure notre société, nous construisons ces alternatives sur nos territoires. Dans la pandémie, nous avons compris la nécessité de nommer ceux qui nous oppriment et de faire face à l’offensive des sociétés transnationales — pharmaceutiques, minières, privatisation de l’eau, entre autres. Les femmes donnent des réponses parce qu’elles sont à l’avant-garde de cette résistance sur leurs territoires, avec la mémoire, le mysticisme, l’agriculture familiale et l’économie solidaire.

Quand on regarde les alternatives proposées dans nos pays et territoires, on se rend compte que c’est le défi de notre époque historique. Dans les années 1980, un certain nombre de mouvements sociaux ont pu émerger pour lutter pour la démocratie. Dans les années 1990, nous nous sommes battues contre la mondialisation capitaliste. Il est maintenant temps de comprendre la réorganisation du capital et de lutter pour construire le socialisme aujourd’hui, à notre époque historique.

Ce système qui nous tue ne peut pas continuer.

Ana Priscila Alves

Nalu Faria a répété à plusieurs reprises que la réponse aux problèmes et dilemmes de l’humanité se trouve dans la classe ouvrière elle-même, dans le quotidien, dans les mouvements, dans les alternatives que nous avons déjà construites chaque jour, dans nos lieux d’action et de vie. La réponse au démantèlement des fondements matériels du capitalisme réside dans les mouvements de résistance que nous faisons à travers le monde. C’est notre tâche : changer le monde pour changer la vie des femmes et changer la vie des femmes pour changer le monde. E c’est pourquoi nous continuerons jusqu’à ce que nous soyons toutes libres.

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Par Ana Priscila Alves

Ana Priscila Alves est membre de la Marche Mondiale des Femmes à Rio de Janeiro, au Brésil. Ce texte est une édition de son discours au panel « Organisation de la classe ouvrière », qui s’est tenu le 15 octobre, lors de la 3ème Conférence internationale Dilemmes de l’humanité, à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

Transcription par Vivian Fernandes (AIP)

Édition par Helena Zelic

 

 

 

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