Beaucoup de gens ignorent ce qu’est l’Afrique. Beaucoup de gens pensent que l’Afrique est un pays. L’autre jour, je parlais à une personne qui m’a dit : « Au moins, pour l’Afrique, tu devrais faire ça. » Les gens parlent et pensent comme s’il s’agissait d’un seul pays. L’Afrique est un continent et nous avons des conditions politiques diverses. Chaque pays africain a des problèmes qui ne sont pas monolithiques, ni statiques ou simples.
Dans le mouvement des femmes, nous devons trouver quelque chose en commun entre nous, car nous avons des problèmes unifiés. Nous voyons l’expansion de la mobilisation populaire des femmes allant au-delà des conflits, mettant en évidence les luttes quotidiennes telles que la reproduction, la santé, l’alimentation, l’éducation. À l’heure actuelle, les communautés minoritaires ont également de nombreux problèmes. Dans la crise mondiale actuelle, nous voyons de nombreuses femmes mobiliser leurs communautés pour répondre à la menace croissante de la Covid-19 qui secoue le monde.
Nous voyons des femmes prendre le commandement, prendre soin d’elles-mêmes et prendre soin les unes des autres. Nous voyons des femmes de la base construire des sociétés autour de leurs communautés. Il y a des actions basées sur la solidarité. Jamais auparavant nous n’avons vu des femmes se réunir autant que nous le voyons maintenant. La pandémie a posé un défi pour tous, et un défi encore plus grand pour les femmes.
Il y a trois leçons importantes que nous pouvons tirer des femmes de la base. La première est de donner de la visibilité à la ligne de front que les femmes construisent pour prendre soin de leurs communautés. Nous parlons de travail essentiel : santé, alimentation, sécurité. Les communautés ressentent beaucoup de pression, surtout avec l’arrivée de la Covid-19, mais ce que nous voyons avec la mobilisation populaire des femmes, c’est de la résilience. Les femmes réfléchissent déjà à des alternatives. Notre État n’arrive pas à prendre soin de personne et puisque tout le monde est occupé à prendre soin de soi-même, personne ne s’arrête et ne voit comment la communauté se porte, personne ne regarde ce que font les femmes. Mais si les gens commencent à le faire, ils se rendront compte que les femmes se mobilisent beaucoup.
Ce que nous voyons dans l’action des femmes dans ce contexte n’est ni documenté ni valorisé. Les gens ne reconnaissent point le travail qu’elles font. En général, les femmes sont celles qui réagissent le plus rapidement et qui contribuent aux soins de la communauté en temps de crise. Nous avons un groupe ici au Kenya qui s’appelle Kibra. Il fait partie de la Marche Mondiale des Femmes et nous avons vu beaucoup de résilience de leur part. Dans une période comme celle-ci, ces femmes se sont réunies et se sont organisées pour enseigner aux autres comment faire du savon pour se laver les mains.
La deuxième leçon est que l’impact de la Covid-19 a une marque de genre très forte. L’inégalité qui existait déjà s’est amplifiée. Avec la pandémie, les disparités qui existaient sont devenues encore plus importantes. La violence a augmenté pendant le confinement. L’accès aux services de santé reproductive n’est plus facilité. Les ressources en matière de santé ont été détournées vers d’autres domaines. L’impact de genre a été très important sur les femmes, en particulier celles de la base. Entre elles, les femmes ont commencé à partager le potager, les médicaments, les revenus. Ce sont des endroits où les femmes atteignent la durabilité. En temps de crise, les femmes reprennent d’anciennes façons de faire les choses.
La troisième leçon importante à noter : adopter une approche féministe du leadership. Il est très important de le faire en temps de crise. Je ne veux pas dire que cela inclut également les soins personnels. Nous prenons souvent soin de la communauté et nous oublions nous-mêmes. Il est impossible d’aider quelqu’un d’autre si nous ne pouvons pas nous aider. Je crois qu’en ce moment, il ne s’agit même pas de s’aimer soi-même, mais d’avoir une approche féministe du leadership, et cela commence avec chacune, personnellement.
Maintenant, nous voyons beaucoup de peur, de désespoir et d’isolement. Nous avons vu des femmes isolées par le confinement, mais la distanciation sociale est un privilège que seule une petite partie de la population est en mesure de réaliser. Si vous n’avez pas de moyens financiers, il devient très difficile de rester à la maison. L’isolement social a également eu un impact immense sur la santé mentale. Lorsque les compagnes sont incapables de se rencontrer, d’interagir et de s’organiser, cela a un impact sur la capacité psychologique d’obtenir des informations fiables dont les gens dépendent.
Ce que les femmes artistes ont fait pour lutter contre les problèmes de santé mentale était très beau. En confinement, elles ont perdu les moyens de vente et d’exposition de leurs œuvres, qui sont leur gagne-pain. Nous commençons à remarquer de petits signes de dépression. Donc, pour construire un soutien et un endroit sûr, nous avons créé une chaîne YouTube où ces femmes pouvaient exprimer leur art. Là, elles chantent, lisent des poèmes, parlent, donnent des conseils. Chaque fois que vous parlez à un écran de cette façon, gardez à l’esprit que vous parlez à beaucoup de gens. Cela a été la façon que nous avons trouvée de partager collectivement nos problèmes et notre voie à suivre, nos expériences. C’est ce que fait le féminisme. Il crée des stratégies pour les femmes pendant la crise.
Ces femmes ont créé des groupes pour parler de leurs expériences, partager leurs connaissances et enseigner aux autres femmes comment prendre soin d’elles-mêmes, comment faire du savon, comment s’occuper des enfants, comment avoir accès à des équipements de santé. Les gens n’en parlent pas, ils ne partagent rien sur l’organisation des femmes et sur la façon dont ces femmes de la base partagent leurs expériences partagées, sur la façon dont elles se battent ensemble pour une solution. Mais nous le ferons.
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Sophie Dowllar est une militante féministe du Kenya et est membre du Comité International de la Marche Mondiale des Femmes.
Ce texte est une version éditée de la contribution de Sophie lors du Webinaire Défis du Féminisme Populaire.