Périphérie féministe : une expérience solidaire dans les territoires touchés par les crises environnementales

19/11/2025 |

Any Moraes

Any Moraes rapporte des expériences d'organisation populaire féministe face à la pandémie et aux inondations survenues dans l'État brésilien du Rio Grande do Sul

Dans les périphéries brésiliennes, le changement climatique affecte nos vies et, par conséquent, est important dans notre organisation populaire auprès des femmes des territoires touchés. Toujours en période de pandémie, nous avons organisé, dans l’un des territoires de Porto Alegre (capitale du Rio Grande do Sul, dans la région sud du Brésil), un espace à la périphérie d’organisation et de lutte contre l’insécurité alimentaire dans le contexte de crise sanitaire et environnementale.

Pendant cette période, nous avons créé un espace de solidarité, de lutte et d’auto-organisation des femmes qui perdaient leur emploi et vivaient l’incertitude du moment. Avec l’aggravation de la faim, nous avons occupé un terrain abandonné, utilisé comme dépotoir, pour transformer cet espace, planter de la nourriture et organiser les femmes du territoire. Depuis lors, en 2020, nous avons consolidé cet espace de lutte appelé Collectif périphérie féministe [Coletivo Periferia Feminista], une articulation de la Marche Mondiale des Femmes et des Amis de la Terre Brésil, qui se renforce de plus en plus.

Nous avons ce nom, Périphérie féministe, qui fait parfois peur. Beaucoup de femmes, parce qu’elles ont une relation avec la religion ou d’autres relations, sont terrifiées au début, mais après avoir commencé à assister et à comprendre ce que nous avons construit, elles embrassent la proposition, elles se comprennent aussi comme faisant partie de ce territoire et en tant que femmes avec le potentiel de vivre, d’avoir une nouvelle vie construite sur la solidarité et l’organisation collective.

Notre lutte était déjà traversée, avant même les inondations du Rio Grande do Sul, par des sécheresses et des chaleurs intenses. De nombreuses familles du territoire ont passé plus de 60 jours sans eau du robinet, dépendant d’un camion-citerne – une réalité dans de nombreuses périphéries du Brésil. L’insécurité hydrique affecte aussi grandement nos périphéries. Compte tenu de cela, nous avons commencé à chercher des solutions telles que la récupération de l’eau de pluie, l’organisation des femmes dans la lutte, car dépendre des camion-citerne est difficile, en particulier pour les femmes âgées ayant des problèmes de santé.

Tout cela est passé par notre lutte et notre organisation. Les femmes du territoire ont commencé à se comprendre en tant que collectif, réalisant l’importance d’être organisées. Beaucoup n’avaient jamais participé à ces espaces. Nous avons invité le mouvement, la Marche et le féminisme populaire à dialoguer et à débattre de ce moment de conjoncture.

Au cours de la dernière période, nous avons traversé la pire tragédie environnementale de l’histoire du Rio Grande do Sul. Les inondations survenues à la mi-2024 ont touché près de 1,5 million de personnes et 424 municipalités. Beaucoup de gens ont perdu leurs maisons, leurs mémoires et leurs territoires. Nous avons vu la négligence de l’État, des politiques néolibérales et des territoires marqués par une urbanisation d’exclusion, qui rend les femmes invisibles. À cette époque, les actions de solidarité, les mouvements sociaux et les initiatives des femmes étaient cruciaux pour créer des réseaux de soins et de solidarité avec les familles. À Porto Alegre, en particulier, de nombreux quartiers ont été touchés par les inondations.

Notre collectif agit sur la colline, et il y a une illusion que sur les collines il n’y a pas d’inondation, il n’y a pas de problèmes quand il pleut, mais nous sommes confrontés à des inondations de sources et de glissements de terrain. Les familles touchées par la tragédie ont commencé à grimper et à chercher refuge dans ces endroits plus élevés. Le paysage de nos périphéries a beaucoup changé. C’est à ce moment que nous avons ouvert notre espace, la cuisine du jardin communautaire, où nous avons préparé de la nourriture liée aux moments de rencontres entre femmes. Nous avons commencé à recevoir des gens arrivés désespérés, désolés parce qu’ils avaient tout perdu, avec des histoires de sauvetage très émouvantes.

Notre cuisine a commencé à accueillir ces personnes et à produire de la nourriture, distribuant même plus d’un millier de repas par jour. Nous n’avions aucune expérience de la cuisine à grande échelle, mais la faim était énorme et les gens n’avaient personne à qui faire appel. Les politiques publiques de nos gouvernements étaient très axées sur certains refuges et sur la collecte de fonds, mais elles n’arrivaient pas vraiment à la population.

Ceux qui ont vraiment accueilli les gens et pris en charge l’insécurité alimentaire étaient des mouvements sociaux, principalement à travers l’action des femmes dans les territoires, avec des cuisines solidaires et l’organisation de refuges. Il a également fallu faire face à de nombreux cas de violence dans les refuges, qui étaient des espaces menés à partir du volontariat.

Il a fallu aussi dialoguer sur le volontariat et la solidarité : ils sont fondamentaux, mais ils ne peuvent pas se substituer aux politiques publiques, ni permettre à l’État de transférer cette responsabilité aux femmes. Les politiques structurelles sont très importantes dans des moments comme celui-ci. Les réseaux de solidarité étaient fondamentaux, mais ils avaient aussi comme problèmes la surcharge et l’invisibilité du travail des femmes.

Aujourd’hui, les cuisines sont toujours actives, préparant la nourriture pour la distribution sur le territoire. Mais nous devons encore parler du travail invisible et épuisant de ces femmes, et de la façon dont l’État finit par transférer sa responsabilité, sans valoriser ce front de travail. La grande majorité des femmes dans ces cuisines et espaces sont des femmes noires, pauvres et périphériques qui n’ont pas accès à d’autres fronts de travail.

Il est essentiel que ce travail soit reconnu, basé sur une logique de durabilité de la vie et d’économie féministe et solidaire. Nous cherchons à construire, avec elles, des fronts de travail pour la reconstruction des perspectives et la génération de revenus, afin que les actions ne deviennent pas seulement de la compassion. Nous devons nous confronter à la forme capitaliste d’organisation de l’économie basée sur la marchandisation des biens communs, de la nature, du temps, du travail, de l’eau, de la nourriture et même des relations.

Une autre question importante est la protection civile. Au Brésil, elle est majoritairement masculine et militarisée, sans dialogue avec le savoir populaire des communautés. Lorsque des crises surviennent, les femmes commencent à s’appeler, ont des connaissances sur le territoire et sur les gens, et cherchent ainsi des solutions. Les institutions officielles de la protection civile ne dialoguent pas avec cette action populaire. Il est essentiel de repenser les plans d’urgence et les formes de prévention et d’atténuation du point de vue des femmes dans les territoires et d’une construction plus collective.

Il y a de nombreuses nuances de cette crise civilisationnelle liée au changement climatique, qui nous obligent à réagir radicalement. Nous voulons faire partie de la reconstruction. Les solutions présentées par les gouvernements éloignent souvent la participation populaire et féminine. Nous pensons que la reconstruction n’est pas un « retour à la normale », car cette normalité est injuste, insoutenable, exclusive, patriarcale et raciste. Nous voulons une reconstruction du point de vue des femmes féministes, contre le néolibéralisme et les politiques prédatrices qui détruisent l’environnement et la vie.

Nous nous battons pour la défense de nos territoires et de nos eaux. Cette lutte nous renforce et nous sommes heureuses de répandre le féminisme dans la lutte contre le sens commun qui traverse notre société. Ce n’est pas un travail facile, mais nous restons fermes dans la résistance, la lutte et la résilience, car nous voulons le changement, et il se construit avec nos femmes.

Any Moraes est membre de la Marche Mondiale des Femmes au Brésil.
Édition par Helena Zelic Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves

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