Les femmes du monde entier organisent la lutte contre le capitalisme et le néolibéralisme. Dans la région de l’Asie du Sud, ces forces, sous la forme d’accords de libre-échange (ALE), jouent un rôle important dans l’appauvrissement des paysannes et des femmes dans les zones rurales et urbaines. Parmi les principaux agendas des mouvements populaires au Népal il y a des luttes pour que la Constitution puisse véritablement servir comme base pour garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens, y compris la souveraineté alimentaire et la participation des femmes à la vie politique. Le pays a connu une immense mobilisation qui a abouti, en 2006, à l’abolition de la monarchie et à la mise en place d’un gouvernement républicain. Depuis la révolution de 2006, deux constitutions ont été rédigées : la Constitution intérimaire de 2007 et la Constitution actuelle en vigueur au Népal de 2015.
Capire a parlé avec Daya Laxmi, membre du Comité international de la Marche Mondiale des Femmes représentant la région Asie-Pacifique. L’entrée de Daya dans le comité a été approuvée lors de la 13e Rencontre internationale de la MMF, tenue en octobre à Ankara, Turquie, siège actuel du Secrétariat international de la MMF. À côté de Daya, la région est représentée par Hadina Soka, d’Indonésie, et Oriane Cingone et Marie-Hélène Trolue, de Nouvelle-Calédonie. Dans son pays, Daya est également trésorier de la Fédération des paysans népalais (All NepalPeasants’ Federation – ANPF), une organisation qui intègre la Via Campesina.
Dans l’interview, Daya a parlé des impacts de l’ALC dans son pays, de la lutte paysanne et de la lutte pour faire de la souveraineté alimentaire un droit fondamental, ainsi que de la façon dont les femmes s’organisent pour lutter contre le patriarcat enchevêtré dans les traditions. Cette interview a été menée pendant la 8e Conférence de la Via Campesina, qui s’est tenue en décembre 2023 à Bogotá, en Colombie. Plus de 400 délégué.e.s du mouvement et des organisations alliées se sont réuni.e.s pendant la conférence pour construire la lutte, avec la devise « Face aux crises mondiales, nous construisons la souveraineté alimentaire pour assurer un avenir à l’humanité ! ».
Quels sont les effets des accords de libre-échange aujourd’hui au Népal et dans la région asiatique ? Existe-t-il des accords de libre-échange actifs ?
Les accords de libre-échange posent de nombreux défis à la région asiatique. Au Népal, ils détruisent l’économie rurale en créant une situation de dépendance économique. En Asie, ces accords apparaissent sous différentes formes, comme dans les accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (ABPPI), les accords bilatéraux et multilatéraux entre l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud. Dans les pays d’Asie du Sud, il y a l’Accord commercial Asie-Pacifique (ACAP), et à cause de ces accords, des pays comme le Sri Lanka, qui était le plus riche de la région, sont maintenant en faillite, pauvres et confrontés à une immense crise économique. Il y a aussi l’ABPPI entre le Népal et l’Inde qui provoque une crise de l’économie népalaise. Et aussi le Partenariat Économique Global Régional (Regional Comprehensive Economic Partnership – RCEP), un accord de libre-échange entre les pays d’Asie du Sud et l’Australie, la Chine, l’Indonésie, le Japon et la Corée du Sud, qui a profondément affecté la région.
Ce grand nombre d’accords de libre-échange profondément enracinés dans la région a affecté et victimisé des groupes de petits et moyens paysans. Les personnes sans terre et les petits paysans produisent de la nourriture et toutes sortes de produits, mais ils n’ont pas de marché. Les marchés et même leurs moyens de production sont capturés par les puissances capitalistes néolibérales. Ces petits paysans n’ont pas de propriété foncière et perdent le peu de terre qu’ils ont, ce qui les appauvrit. Nous pouvons parler de divers effets de cela sur la vie de ces personnes, tels que la crise économique et l’absence de marché pour les biens qu’elles produisent. Cela conduit à la famine, aux conflits, à l’exploitation du travail, aux disparités et à la discrimination, tandis que les personnes paysannes sont privées de droits. Les impacts de ces ALC opérant dans la région se voient dans la crise climatique et économique que nous traversons. Ils violent les droits humains. Les petits paysans, les vrais paysans, ont de moins en moins de terre.
Quelles sont les conséquences effectives pour les paysannes de l’inclusion de la souveraineté alimentaire dans la construction du mouvement au Népal ? Quels sont les défis ?
Le mouvement agraire et paysan du Népal a émergé il y a 70 ans. En 2015, nous avons promulgué une nouvelle Constitution, parce que nous avons des gens qui se battent depuis 2006. Cette nouvelle Constitution garantit que la souveraineté alimentaire est un droit fondamental de notre peuple. Maintenant, nous promulguons une Loi sur l’agriculture, qui a déjà été adoptée, mais non appliquée. Les personnes paysannes ont des droits obligatoires en vertu de notre Constitution, mais cette loi définit comment ces droits seront mis en œuvre. Cette loi a été élaborée et construite par le Parlement pour les paysans, et elle indique ce qu’ils doivent faire et quels sont leurs droits. Ce que nous allons mettre en œuvre : c’est par la loi. La participation des femmes aux négociations pour la construction de la loi a été forte. Nous participons à la discussion de tous les aspects de cette constitution en relation avec l’agriculture auprès du ministère, au niveau fédéral, au niveau des provinces, et même dans les instances locales. Au Népal, la représentation des femmes est obligatoire à tous les niveaux du gouvernement. De plus, il doit toujours y avoir une représentation autochtone.
Il y a quelques défis. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et paysannes et autres personnes travaillant dans les zones rurales (United Nations Declaration on the Rights of Peasants– UNDROP) n’a pas été pleinement mise en œuvre. Nous avons donc essayé de créer de nouvelles lois et de nouveaux dispositifs juridiques pour son implémentation. La déclaration garantit les droits et la propriété des personnes paysannes. Mais il est très difficile de transformer le secteur agricole en raison de l’intervention internationale ou étrangère sur les questions nationales. Ces divers pouvoirs étrangers, ces puissances impérialistes et capitalistes, tentent de forcer les programmes de banques foncières et les investissements directs étrangers. Ces programmes tentent, par exemple, de mettre en œuvre des pipelines dans le pays, mais l’organisation paysanne lutte contre cela, et jusqu’à présent, ils n’ont pas été mis en œuvre.
Le pouvoir étranger essaie d’attirer toutes sortes d’interventions, mais la souveraineté alimentaire est notre droit, nous avons donc rédigé une nouvelle constitution qui est en cours de mise en œuvre, mais comment protéger ces droits est un défi.
Daya Laxmi
Les paysans et paysannes — et tous les peuples — doivent être sensibilisés à leurs droits. Le Népal est un pays diversifié. Nos langues, notre culture, nos rituels montrent notre diversité. C’est un pays de nombreuses langues, cultures et traditions différentes, alors comment est-il possible de réaliser l’unité dans la diversité ? C’est un pays agricole, et la plupart des femmes du pays dépendent de cette activité, bien qu’elles n’aient ni droits ni propriété. Les femmes sont sur terre. Selon le dernier recensement, à partir de 2020, il y a 1,5 million de femmes engagées dans l’agriculture au Népal, mais seulement 21% d’entre elles possèdent des terres. Les autres sont des femmes sans terre, ou la terre est au nom des hommes de la famille. L’intervention capitaliste internationale est notre plus grand défi. Nous avons des ressources naturelles, mais elles ne sont pas accessibles aux femmes. Le patriarcat est l’obstacle à la mise en œuvre des droits des femmes.
Pouvez-vous parler davantage de la dimension patriarcale dans les traditions culturelles ? Comment les femmes construisent-elles le féminisme dans ces traditions culturelles ?
Nous vivons dans une société patriarcale et inégalitaire qui, pendant longtemps, n’a pas permis aux femmes de quitter la cuisine. En conséquence de la lutte des femmes, lors de la révolution populaire de 2006, nombre de leurs droits ont été garantis. Après la mise en œuvre de la Constitution intérimaire du Népal cette année-là, une élection pour l’Assemblée constituante a eu lieu et les femmes dirigeantes ont fait entendre leur voix pour assurer une participation de 33 % dans toutes les institutions gouvernementales et organisations de la société civile. Actuellement, au niveau fédéral, nous avons la présidence et la vice-présidence, et l’un de ces postes doit toujours être occupé par une femme. Nous construisons des lois pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, avec parité et sans discrimination.
Nos défis sont de protéger nos droits et de mettre en œuvre ces réalisations. Nous pouvons diffuser, sensibiliser, organiser des formations pour les personnes, pour les femmes. Les femmes soulignent que les forces capitalistes et impérialistes augmentent la discrimination dans la société. Et pour lutter contre cela, nous devons élaborer nos lois, telles que la Loi sur l’agriculture, la Loi sur la lutte contre la violence domestique et les lois de mise en œuvre de l’UNDROP. Ces dispositions légales, ces lois soutiennent les droits établis pour les femmes dans le pays. Nous luttons pour une réforme structurelle de la société.