En 2010, la Marche Mondiale des Femmes a tenu sa 3ème Action Internationale, avec pour devise « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche ». L’action a débuté le 8 mars et a sauvé la mémoire des femmes socialistes à l’occasion du 100e anniversaire de la Journée internationale des luttes des femmes. Environ 38 000 militantes de 54 pays ont participé aux actions féministes cette année-là, travaillant dans les quatre domaines d’action de la marche : travail et autonomie économique des femmes ; faire face à la violence à l’égard des femmes ; biens communs et services publics ; paix et démilitarisation.
Ce dernier champ d’action a fait l’objet d’une attention particulière, résultant même des accumulations du mouvement dans l’Action internationale précédente par rapport à la violence des guerres et des frontières. L’un des objectifs de la 3ème Action était d’attirer l’attention sur les violences subies par les femmes dans les territoires en guerre et en conflit armé, en présentant les causes de ces violences. Les actions ont montré que la violence sexiste n’est pas seulement un effet secondaire de la militarisation, mais un mécanisme fondamental du capitalisme, du racisme et du colonialisme. Dans les conflits, le viol est utilisé comme une arme et les femmes sont considérées comme un butin de guerre.
Cette année-là, la Marche Mondiale des Femmes a renforcé sa dénonciation des impacts de la militarisation sur la vie quotidienne des peuples, présentant également des alternatives féministes pour la paix. Ainsi, entre le 8 mars et le 17 octobre 2010, les femmes ont présenté des agendas articulés pour faire face à la violence patriarcale et à la militarisation. La clôture de l’Action a eu lieu à Bukavu, dans la région sud de la République Démocratique du Congo (RDC). Environ un millier de femmes, en particulier de la région des Grands Lacs africains, ont participé à la semaine d’activités et environ 1500 personnes ont participé à la Grande Marche pour la Paix, qui s’est tenue le 17 octobre.
Bukavu, territoire en lutte pour la paix
La décision de mettre fin à la 3ème Action Internationale en République Démocratique du Congo a été prise lors de la 7ème Réunion Internationale de la MMF, qui s’est tenue à Vigo, en Galice, en octobre 2008. Les 148 déléguées de 48 pays ont estimé qu’il était important que l’activité de clôture se déroule dans un pays en conflit.
À Bukavu, qui était en conflit depuis plus de 10 ans, le viol des femmes et des filles était une pratique systématique destinée à humilier, déshonorer et démoraliser chacune des parties impliquées dans le conflit. Le conflit armé en RDC impliquait des intérêts économiques : le différend pour le contrôle des ressources minérales et de la biodiversité abondante de la région, et les profits de l’industrie de l’armement et des sociétés de sécurité privées. Ces raisons étaient cachées par la manipulation des tensions ethniques qui justifieraient les conflits existants sur le territoire.
En outre, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) opère dans le pays depuis 10 ans. À l’époque, la MMF était présente dans neuf pays où des missions de stabilisation des Nations Unies ont été établies : Haïti, Sahara Occidental, Côte d’Ivoire, RDC, Soudan, Chypre, à la frontière Indo-pakistanaise et en Afghanistan.
Dans chacun d’eux, le mouvement a remis en question la présence de ces missions militaires de l’ONU dans les territoires. Cette critique, qui se poursuit encore aujourd’hui, considère le caractère impérialiste de ces missions, qui agissent au nom de la paix mais ne la promeuvent pas, au contraire, elles exacerbent la violence. La présence de militaires étrangers a un impact sur la culture et l’économie locales, nuit à la souveraineté des peuples, et est entourée d’hypocrisie et d’impunité, puisque la pratique de la violence contre les femmes par les soldats qui intègrent ces missions est documentée.
Les femmes africaines et le monde en action
La solidarité féministe est descendue dans les rues de Bukavu le 17 octobre lors de la Grande Marche pour la Paix. Les femmes ont exigé une paix durable et active, la fin de la militarisation, de la criminalisation, de la pauvreté et de la violence à l’égard des femmes. Les mobilisations ont démontré la force des femmes organisées à travers le monde et dénoncé les intérêts économiques et géopolitiques des conflits armés. Ce fut un moment de renforcement de la mobilisation et de l’influence des femmes de la RDC, qui ont défendu des propositions pour leur pays, ancrées dans leurs luttes quotidiennes. Au niveau régional, il était également crucial d’approfondir l’articulation et la coopération entre les coordinations nationales de la MMF dans la région des Grands Lacs.
Une action de cette ampleur était sans précédent en RDC. Cela a été rendu possible par l’existence de groupes de femmes organisées localement et nationalement dans la lutte contre la violence, qui ont fourni di/vers services aux femmes victimes de conflits. Avec elles, une démonstration de solidarité internationale s’est articulée.
Le travail conjoint des femmes de cette région n’a pas commencé à cette époque et ne s’est pas arrêté là. Depuis la 1ère action internationale de la MMF, qui s’est tenue en l’an 2000, cinq coalitions de groupes de femmes au Burundi, en RDC et au Rwanda ont travaillé ensemble pour la paix dans la région des Grands Lacs à partir de l’auto-organisation. Depuis 2010, des femmes de la République centrafricaine, de l’Ouganda et de la toute nouvelle coordination nationale de la MMF au Kenya ont rejoint ce groupe.
Ces mobilisations, réflexions et activités se poursuivent dans le quotidien politique des femmes de la MMF, tant au niveau régional qu’international. Ainsi, elles mettent en évidence le rôle des femmes en tant que sujettes collectives du féminisme et du changement social dans les contextes de conflit armé. Les femmes qui résistent aux différentes formes de guerres en cours dans le monde aujourd’hui, en particulier dans les pays du Sud, ne sont pas simplement des victimes passives ; elles sont des protagonistes actives de leur vie et de la résistance de leurs communautés.
Paix et démilitarisation au programme de la Marche Mondiale des Femmes
A l’issue de la 3ème action internationale, le « Manifeste des femmes pour la paix » a été rédigé à plusieurs mains, fixant les objectifs de la lutte des femmes organisées :
« Nous avons la responsabilité de faire taire les armes et de dénoncer les prétextes dont se sert le pouvoir pour nous immobiliser, en nous servant des faux discours sur la sécurité, les missions humanitaires et le combat contre le terrorisme, pendant qu’avancent l’industrie des armements, l’installation des bases militaires, la privatisation et la destruction des ressources naturelles.
Dans la Charte mondiale des femmes pour l’humanité nous déclarons que la paix c’est beaucoup plus que l’absence de guerre : c’est le respect et l’accomplissement des tous nos droits en tant qu’habitants et habitantes de cette planète. C’est dans ce sens que nous continuons à marcher, main dans la main avec les femmes et les hommes, les mouvements sociaux et les peuples du monde qui lutent pour éliminer la pauvreté et la violence et pour construire une paix durable. »
Cette année-là, la lutte pour la paix et la démilitarisation a été partagée par des femmes dans différentes parties du monde, en plus de celles qui étaient à Bukavu. Des marches et des caravanes ont été organisées dans plusieurs pays. Au Brésil, trois mille femmes ont fait une marche de dix jours couvrant une centaine de kilomètres. En Grèce, des manifestations ont eu lieu pour dénoncer les dépenses militaires élevées pendant la crise financière qui a frappé le pays. Au Pakistan, les femmes sont descendues dans la rue face aux attaques des fondamentalistes religieux qui ont fait exploser à plusieurs reprises des bombes pour terroriser la population. Et au Mali, l’intensification de la lutte pour la construction de la paix dans le pays a culminé avec une manifestation à Gao, une zone de conflit armé.
En plus de ces activités, des actions régionales ont été organisées en Asie, en Europe et dans les Amériques. L’action aux Philippines dénonçait l’intervention, le contrôle et la présence militaire des États-Unis en Asie du Sud-Est. En Colombie, la même armée impérialiste des États-Unis a joué un rôle central dans le maintien du conflit en cours dans le pays. Une manifestation a eu lieu devant la base militaire de Palanquero, l’une des nombreuses bases où les États-Unis ont maintenu des opérations dans le but de prendre le contrôle géopolitique de la région. En Europe, des femmes de 23 pays se sont rassemblées à Istanbul, en Turquie, lors d’une marche présentant leurs revendications sous le slogan « Femmes, paix et liberté ».
L’accumulation politique de la 3ème action internationale de la Marche Mondiale des Femmes a consolidé la force de l’engagement à « continuer à marcher jusqu’à ce que nous soyons toutes libres », en d’autres termes, à construire de manière permanente un mouvement féministe internationaliste et populaire.
La militarisation est un outil de l’impérialisme qui renforce le patriarcat et son imbrication avec le capitalisme et le racisme. La militarisation des territoires et la violence contre le corps des femmes ont pris des proportions encore plus importantes au fil des ans avec les nouvelles offensives de l’impérialisme états-unien, l’expansion du pouvoir des entreprises et les nouvelles formes de contrôle de la vie et du temps par les grandes entreprises technologiques, qui concernent souvent l’industrie militaire. Reconnaître les liens entre l’exploitation économique et la violence raciste et sexiste est la base fondamentale pour identifier des alternatives directes à celles-ci. C’est pourquoi cela a été un agenda central de la Marche Mondiale des Femmes depuis le début de son organisation politique.