La lutte LGBT+ dans les campagnes fait écho aux voix des personnes réduites au silence par la violence

26/05/2023 |

Capire

Dans une interview, Luana Oliveira de Via Campesina Brésil parle de l'assassinat de Lindolfo Kosmaski

La voie vers une transformation sociale profonde passe par le droit à la diversité sexuelle et de genre. Les personnes LGBT+ dans les campagnes exigent de plus en plus une rupture avec le système actuel qui les criminalise et les tue, et incluent cet agenda dans la lutte permanente des mouvements sociaux. Dans les mouvements populaires à la campagne, la lutte pour les droits des personnes LGBT+ rejoint la lutte pour la souveraineté alimentaire dans la recherche d’un monde juste, avec liberté et diversité, et avec des relations égalitaires entre les personnes et la nature.

Au Brésil, la solidarité a été au centre de la lutte contre la LGBTphobie dans les campagnes. Le 1er mai 2021, Lindolfo Kosmaski, membre du mouvement des sans-terre (MST), a été brutalement assassiné à l’âge de 25 ans. Depuis lors, Via Campesina et les mouvements populaires alliés se sont fait l’écho de la voix de Lindolfo et de son combat, en quête de justice. Lindolfo était enseignant et militant du collectif LGBT+ du MST. Nous nous sommes entretenus avec Luana Oliveira, membre du MST et du collectif LGBT+ de Via Campesina, au sujet du cas de Lindolfo et de la diversité de la lutte LGBT+ au sein du mouvement.

Lindolfo Kosmaski, qui a été brutalement assassiné il y a deux ans, est un exemple de personne LGBT+ originaire de la campagne et qui a continué à lutter et à éduquer les autres sur son territoire. Ce crime vient de passer devant un jury populaire. Comment s’est déroulé le procès ? Comment se déroule la lutte pour que justice soit faite pour son assassinat et comment Via Campesina au Brésil défend-elle le processus de justice dans un cas comme celui-ci ?

La lutte pour que justice soit rendue dans l’affaire du meurtre de Lindolfo se poursuit depuis l’événement. La mobilisation et la sensibilisation de la société ont eu de nombreuses répercussions au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine et d’Europe. Lors de manifestations aux États-Unis, en Espagne, en France et en Argentine, par exemple, nous avons vu des affiches appelant à la justice pour Lindolfo, des articles sur les médias sociaux. Ces manifestations ne sont pas passées inaperçues auprès de la population de la petite ville de São João do Triunfo (PR), où vivait et où a été assassiné Lindolfo.

Le procès a débuté le 18 avril à 10 heures. Les frères de Lindolfo, ses amis, le propriétaire du bar où il a été vu pour la dernière fois et l’une des personnes ayant fait une dénonciation anonyme étaient présents en tant que témoins et informateurs. Cela a grandement aidé la personne responsable de l’enquête dans les poursuites contre le meurtrier. Les parties à la défense et à l’accusation ont commencé leurs explications en début de soirée, après le témoignage de l’accusé. Au total, le procès a duré 16 heures et la famille de Lindolfo était présente tout au long de la procédure. Le 19 avril à 2h45 du matin, le jugement de l’accusé a été rendu, le condamnant à 19 ans et 6 mois d’emprisonnement en régime fermé.

Pour Via Campesina Brésil, le projet de société pour lequel nous luttons et que nous osons construire doit considérer que tous les êtres humains – indépendamment de la couleur, race, ethnie et croyance – doivent vivre et être libres d’aimer.

La diversité et la liberté sexuelle font également partie de ce projet de liberté de la terre, de production alimentaire et de relations humaines saines.

Dans un cas comme celui de Lindolfo, comme dans tout cas qui porte atteinte à la vie d’un être humain, la justice doit être rendue, de l’enquête à la condamnation, lorsque les coupables sont retrouvés. Les mouvements sociaux dans les campagnes ont dénoncé des cas de violence, accompagné les enquêtes lorsque cela était possible et mené des mobilisations. Plus que jamais, nous avons fait écho aux voix des personnes qui ont été réduites au silence par la violence, en nous souvenant constamment de nos martyrs à travers la mystique, les chants et la poésie. Nous continuons à rêver, tout comme les graines rêvent dans l’espoir de germer et de porter de bons fruits, propageant d’autres graines. « Terre et sang » ne devraient pas être les termes liés à la violence contre les peuples des campagnes, des eaux et des forêts. Ils devraient plutôt être le sens de la résistance en produisant des aliments sur leurs territoires sans conflit, comme synonyme de vie.

La LGBTphobie est l’un des symptômes du conservatisme qui prévaut dans ce monde capitaliste et hétéropatriarcal. L’assassinat de Lindolfo a eu lieu à une époque où le conservatisme trouvait un soutien dans les personnalités du gouvernement et dans les progrès de l’agro-industrie. Ce contexte change-t-il avec le changement de gouvernement ? Comment continuer à lutter contre le conservatisme et son impact sur la vie des personnes LGBT+ ?

Ce contexte ne changera pas soudainement parce que le gouvernement brésilien actuel adopte une position plus démocratique. Il est nécessaire que la population LGBTI+ continue à se positionner, à mettre en avant ses revendications et ses programmes de lutte. Il en a déjà été ainsi à d’autres époques de gouvernement de gauche, et nous devons donc continuer, avec une vigilance permanente, une attention et une volonté de lutter contre toutes les formes de violence.

La lutte LGBT + est diverse et fait face à différents défis à dans le monde entier. Pour Via Campesina, comment s’est déroulé le processus de construction politique de cette lutte au sein des mouvements ruraux ?

La sexualité à la campagne, en général, est considérée comme un grand tabou. Nous défendons l’importance pour les mouvements et organisations paysannes d’inclure l’agenda de la diversité sexuelle et de l’identité de genre dans la lutte pour les droits sociaux, en construisant un chemin sans ignorance. Il est important de rompre avec les préjugés qui alimentent le projet du capital et génèrent des discriminations et les violences à l’égard des femmes et des personnes LGBTI+. Les organisations de Via Campesina ont la lourde tâche de dénaturaliser ces violences, de reconnaître l’existence des personnes LGBTI+ et d’amener le respect de la diversité sexuelle et de l’identité de genre au centre de leurs luttes.

Comment ces luttes parviennent-elles à dépasser le discours sur la sexualité comme quelque chose d’uniquement individuel et à prendre la forme d’une lutte collective pour la garantie des droits et contre la haine subie par la population LGBT+ ?

Les luttes paysannes au Brésil ont également connu une augmentation des taux de violence au cours des dernières années. Selon le rapport Conflitos no Campo Brasil [Conflits dans les campagnes brésiliennes], de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), 32 paysans ont été assassinés en 2019. Nous savons que l’ordre donné d’assassiner une personne autochtone ou paysanne découle de la même pensée fasciste et LGBTIphobe qui tue ces personnes.

Nous pensons qu’il est nécessaire de refuser les classifications et les déterminations moralisatrices concernant nos corps, le plaisir et le désir, car toutes les formes d’amour sont légitimes et constituent l’identité de la classe ouvrière.

Il est courant de penser que les jeunes ruraux doivent s’installer dans les grandes villes pour avoir plus d’opportunités. Dans le contexte des personnes LGBT+, cet échappatoire peut également être considéré comme un moyen de vivre sa sexualité librement. Comment s’assurer que les campagnes soient des endroits sûrs pour ces personnes, pour qu’elles n’aient pas à partir ?

Nous pensons qu’un projet rural incluant les personnes LGBTI+ est nécessaire pour qu’elles puissent continuer à vivre à la campagne, à produire avec la terre avec la garantie d’être, de vivre, d’aimer et d’être heureux en participant à la vie de la communauté. Alors que nous luttons pour la sécurité et la souveraineté alimentaires, la souveraineté énergétique et le renforcement des communautés paysannes, il est également nécessaire de construire des territoires exempts de préjugés et de discriminations fondés sur le sexe, la race/ethnie, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et de relever le défi de briser toutes les barrières qui nous empêchent de vivre et d’aimer.

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