Aminata Gado:« Des sanctions injustes, inhumaines et sadiques ont été infligés au Niger »

17/05/2024 |

Capire

Militante de la Via Campesina au Níger parle des impacts des sanctions dans son pays et de la lutte pour la souveraineté

Aminata Gado

Une vague de mobilisations populaires pour la défense de la souveraineté nationale a eu lieu dans des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Des soulèvements militaires se sont emparés du pouvoir et ont fait pression pour l’expulsion des forces militaires françaises de leurs territoires. Ces groupes sont confrontés à un contrôle externe des ressources naturelles et ont reçu le soutien de certains secteurs de la population. Le Niger, par exemple, est considéré comme le troisième producteur d’uranium de la planète, bien que, jusqu’à présent, la quasi-totalité de l’exploitation minière du pays ait été effectuée par des sociétés françaises, dans le cadre d’un modèle d’exploitation néocolonialiste qui a perduré après l’indépendance du pays dans les années 1960.

En juillet 2023, lorsqu’un soulèvement militaire a renversé le président de l’époque au Niger, des sanctions sévères ont été appliquées par l’Occident, affectant l’ensemble de la population, en particulier les populations rurales. La pression impérialiste, avec la France en tête, vise à ce que les forces militaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) interviennent dans le pays, ce qui a été rejeté par l’Union africaine et, avec plus de véhémence, par les pays voisins, le Burkina Faso et le Mali, qui forment l’Alliance des États du Sahel. Dans ce contexte, la Via Campesina et d’autres organisations de base ont lancé des campagnes pour dénoncer les sanctions et l’ingérence impérialiste dans le pays et pour défendre les paysan.e.s nigérian.e.s. « Le chemin vers une paix réelle en Afrique de l’Ouest et du Centre passe par la souveraineté pleine et entière des peuples. Les interventions néocoloniales doivent cesser », l’organisation a-t-on affirmé en 2023.

Pour comprendre le contexte politique actuel et les défis des luttes populares pour la souveraineté nationale du pays, Capire a parlé avec Aminata Gado, membre de la Plateforme Paysanne du Niger – PFPN, attachée à la Via Campesina. Lisez l’interview ci-dessous.

Le 26 juillet 2023, la garde présidentielle du Niger s’est avancée contre le président sortant, Mohamed Bazoum, et a mené un soulèvement militaire qui a mis au pouvoir une junte militaire dirigée par le général Abdourahamane ‘Omar’ Tchiani. Pouvez-vous nous dire brièvement ce qui se passait à l’époque et quelle est la situation dans le pays depuis neuf mois ?

Les raisons qui ont amené les militaires à prendre le pouvoir sont les suivantes: l’insécurité grandissante qui gagnait toutes les régions, la mauvaise gouvernance, l’impunité, le clanisme, la pauvreté. Tous ces maux contribuent à maintenir le pays dans une dépendance totale alors que le Niger regorge de nombreuses richesses minières qui sont dilapidées par les impérialistes avec le soutien des dirigeants locaux. 

Dès leur arrivée au pouvoir, les militaires sont soutenus par la population, dans un sursaut patriotique motivé par la révolution tant attendue. Depuis neuf mois, la situation du pays a changé : les nouveaux dirigeants ont nationalisé certaines ressources minières, la gouvernance du pays est transparente, les avis de la population sont pris en compte alors qu’avant leur arrivée, c’était la dictature totale. Sur le plan diplomatique, le Niger choisit librement ses partenaires. L’insécurité diminue, la quiétude règne dans le pays, la population se sent plus en sécurité avec les militaires, la culture du civisme et du patriotisme est entretenue chez tous les citoyens. En outre la fermeture des frontières avec le Nigeria et le Bénin a entraîné une réduction des transactions et des revenus de la population – car le Niger est enclavé – ainsi que la réduction des revenus de la population et le renchérissement des produits et des aliments.

Pouvez-vous contextualiser ce moment politique et expliquer pourquoi ces soulèvement militaires bénéficient d’un tel soutien populaire ?

Tant qu’il y aura de la mal gouvernance, il y aura des coups d’État dans les pays africains. Mais, les coups d’État intervenus au Mali, au Burkina et au Niger sont salvateurs, libérateurs. Ils bénéficient d’un soutien populaire parce que les trois dirigeants ont introduit dans leur système de gouvernance l’idée du patriotisme, de la révolution, de la refondation, de l’indépendance totale des trois pays, de chasser le néocolonialisme. Les trois dirigeants ont prouvé aux populations le pillage des ressources naturelles par la France et les États-Unis, des pays se disant riches tout en exploitant des pays dits pauvres, qui en fait ne sont pas pauvres, mais sous-exploités. Les richesses de nos trois pays ne seront plus entre les mains des impérialistes, mais contrôlées par les dirigeants locaux. 

Outre la menace permanente d’une attaque militaire de la part des forces armées des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), soutenue par la France dans sa tentative de reprendre l’exploitation de l‘uranium au Niger, le peuple nigérien souffre des sanctions appliquées par le pays colonisateur et les États-Unis. Que signifient ces sanctions dans la pratique ? Comment ces sanctions ont-elles affecté le peuple, en particulier les femmes et les paysans ?

Des sanctions injustes, inhumaines et sadiques ont été infligés au Niger. La menace d’attaque militaire par la Cedeao et la France a occasionné le manque de produits pharmaceutiques dans les pharmacies, ce qui a entraîné beaucoup de décès, des coupures d’électricité intempestives, la rareté et cherté des produits vivriers, et limité les mouvements des populations.

Ces sanctions ont plus affecté les femmes et les paysans. Leur pouvoir d’achat est diminué à cause de la rareté et la hausse du prix des produits de première nécessité. les coupures d’électricité et le manque de médicaments en pharmacie ont forcé les femmes à accoucher dans des conditions déplorables, la pauvreté est accrue chez les femmes. Quant aux paysans, l’insécurité les empêche d’aller aux champs; certains y ont été tués ; plusieurs ont été dépouillés de leur cheptel. Il y a eu déplacement massif des familles où ce sont les femmes et les enfants qui se retrouvent sans abri, dépossédés de leurs biens.

La lutte contre l’impérialisme, le capitalisme et pour la souveraineté est profondément ancrée dans ce qui s’est passé au Niger. Pouvez-vous nous parler de la lutte populaire dans le pays aujourd’hui ? Quel rôle les femmes et les  paysans jouent-ils dans cette lutte pour la souveraineté et la paix ?

La souveraineté du Niger est effectivement profondément ancrée chez tout citoyen nigérien et cette lutte continuera jusqu’à la victoire finale.

Les femmes ont été à l’avant-garde de toutes les luttes populaires au Niger, de Kassai à Saraounia Mangou, en passant par la marche historique du 13 mai 1992 où les femmes ont arraché leur participation à la conférence nationale souveraine, jusqu’aux événements du 26 juillet 2023 où les femmes ont assuré la permanence de jour comme de nuit sur la place de la résistance.

Ce sont des femmes qui ont approvisionné les résistants en nourriture, en eau fraîche jusqu’au départ des troupes françaises. Les femmes et les paysans ont apporté leurs contributions en espèces et en nature dans les fonds de solidarité pour la souveraineté du pays.

Interview réalisée par Bianca Pessoa
Édition par Helena Zelic er Tica Moreno

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