Travailleuses oubliées : les femmes dans l’économie informelle en Tunisie

02/08/2023 |

Souad Mahmoud

Souad Mahmoud écrit sur la vulnérabilité sociale et les difficultés rencontrées par les travailleuses Tunisiennes dans l'économie informelle

Le terme « économie informelle » concerne des individus « qui travaillent en dehors du cadre légal formel, sans enregistrement officiel et sans réglementation conforme aux lois sur le travail et la protection sociale ». C’est la définition de l’Organisation internationale du Travail.

Le concept d’économie informelle continue de présenter des défis pour les milieux économiques et de la recherche en général. La difficulté conceptuelle vient de la complexité sociale du phénomène et des variations de ses manifestations entre les pays, en particulier entre les centres mondiaux riches et les régions périphériques appauvries. De plus, le travail dans l’économie informelle est associé au phénomène de « l’emploi précaire », influencé par divers facteurs, notamment les conditions de travail, les faibles revenus et l’absence de réglementation légale.

Souvent, les recherches qui se concentrent sur les phénomènes économiques et sociaux émergents dans les sociétés contemporaines n’accordent pas l’attention voulue à la façon dont ces problèmes affectent les femmes à la suite des transformations structurelles de l’économie et de la société. Et parfois, lorsqu’il y a cette préoccupation, elle est marginalisée ou reçoit une attention périphérique.

La vulnérabilité sociale des femmes travaillant dans l’économie informelle est ancrée dans des contextes sociaux et politiques dominés par des phénomènes tels que le chômage, les inégalités socio-économiques et régionales, et le ralentissement économique. En général, ces phénomènes affectent les secteurs les plus vulnérables de la société, touchant en particulier les femmes. Le recours à l’économie informelle peut être vu comme une réponse sociale à l’incapacité de l’économie formelle à les accueillir et aussi comme une preuve de l’exposition de ces femmes à la discrimination sociale et de genre dans la recherche d’emploi.

Selon le recensement démographique de 2014, on estime qu’environ 306 000 femmes en Tunisie sont dans l’économie informelle, totalisant environ 32,5 % de la population active du pays. Ces femmes exercent diverses activités au sein de l’économie informelle, telles que l’agriculture, le commerce, le travail domestique, la couture et diverses autres professions. Parmi ces secteurs, l’agriculture et le commerce attirent la plus forte proportion de femmes actives, représentant respectivement 33,3 % et 35,5 %.

Économie informelle : adversités pour femmes

L’absence d’un cadre juridique pour le travail agricole saisonnier expose les travailleuses Tunisiennes à une vulnérabilité en termes de santé, de protection juridique et de stabilité financière. Le cadre juridique existant pour ce travail aujourd’hui ne répond plus aux besoins et aux défis de l’industrie. En conséquence, des centaines de femmes travaillant dans l’agriculture sont confrontées à des risques importants en raison de la nature saisonnière et des conditions de travail difficiles. Elles sont confrontées à des conditions dangereuses sans aucune sorte de protection et reçoivent des paiements extrêmement bas, tout en restant sans voix dans leur détresse.

Transport dans des conditions dangereuses

Le transport des travailleuses dans le secteur agricole a été un thème récurrent dans les médias au fil des ans. Chaque accident mortel déclenche une indignation généralisée du public et incite les politiciens de différents partis à faire des discours. Cependant, malgré l’indignation, les conditions de transport restent les mêmes et aucune loi n’a été adoptée pour remédier à ces circonstances dangereuses. Selon le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux, des transports inadéquats dans le secteur agricole ont tué 40 personnes et en ont blessé 496 en 2019.

Manque de protection et de couverture sociale

Dans le cadre juridique actuel, les travailleuses du secteur agricole n’ont pas de couverture sociale et ne sont pas protégées contre les incidents de travail. Et comme beaucoup d’autres travailleuses en Tunisie, elles sont incapables d’obtenir un plan de retraite pour assurer leur bien-être à un âge avancé. Et ce, malgré les risques inhérents au secteur, tels que l’exposition à des conditions météorologiques défavorables comme la pluie, le vent et le soleil brûlant, ainsi que le contact direct avec les engrais et les produits chimiques, et les accidents de la route. Selon les dernières statistiques de l’Administration Générale des Études et du Développement Agricole, seulement 3 % des femmes travaillant dans le secteur agricole bénéficient d’une couverture sociale.

Salaires inadéquats en échange d’un travail pénible

Outre les nombreux risques encourus, le travail agricole est également très exigeant physiquement. Les femmes actives dans ce secteur commencent la journée tôt, effectuant les tâches ménagères, avec leur conjoint et leurs enfants, avant de se rendre à la ferme. Une étude menée par l’Association Tunisienne des femmes Démocrates sur les travailleuses agricoles a révélé que ces femmes travaillent en moyenne 13 heures par jour et ne perçoivent que la moitié du salaire des hommes du secteur, qui travaillent en moyenne neuf heures par jour. De plus, elles n’ont ni jours de repos ni loisirs, ce qui a un impact sur la santé physique et mentale.

Recommandations

Sur la base de recherches approfondies sur le sujet, plusieurs recommandations émergent pour surmonter la dure réalité à laquelle est confronté ce groupe de travailleuses. Parmi ces recommandations figurent :

Améliorer le système institutionnel et juridique relatif au travail saisonnier dans le secteur agricole : développer un cadre juridique spécifique qui tienne compte des caractéristiques particulières de cette activité en Tunisie. Pour ce faire, il convient d’impliquer les groupes d’intérêt concernés dans le processus, tels que les organisations professionnelles, les syndicats et les associations, en veillant à ce que le principe fondamental de l’élaboration des lois soit de les adapter aux réalités du territoire, par le biais d’une consultation active des personnes directement impliquées et affectées.

Il est de la plus haute importance d’améliorer le système de protection sociale des travailleuses agricoles : cela comprend la modification et l’élargissement des programmes existants pour inclure des mécanismes d’épargne qui répondent aux besoins particuliers des travailleuses agricoles saisonnières, en mettant un accent particulier sur le soutien des mesures de sécurité sociale. Ceci est essentiel pour protéger les revenus et le bien-être général de ces femmes, car les programmes proposés actuellement sont inefficaces, laissant les femmes travaillant dans le secteur informel vulnérables et dépourvues de toute forme de protection.

Organiser et reconnaître officiellement le transport des travailleuses agricoles : assurer le strict respect de la nouvelle loi régissant le transport de ces travailleuses et améliorer immédiatement les modalités et conditions afin qu’il y ait une plus grande efficacité à cet égard. Cela devrait s’inscrire dans le cadre d’une vaste politique des transports conçue spécifiquement pour le secteur. En outre, il est essentiel d’allouer les fonds et les ressources nécessaires pour assurer la mise en œuvre réussie de cette loi et un transport adéquat et sûr pour toutes les femmes travaillant dans l’agriculture.

Souad Mahmoud est membre de la Marche Mondiale des Femmes en Tunisie, de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates — ATFD et de l’Union générale tunisienne du travail — UGTT).

Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : arabe

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