La région mésoaméricaine est située sur le territoire actuellement occupé par le Mexique, le Guatemala, le Salvador, le Belize, le Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica et le Panama. La population actuelle de notre région est estimée à environ 185 millions de personnes, dont les origines ancestrales se trouvent dans nos peuples autochtones : Olmèque, Zapotèque, Maya, Teotihuacan, Mixtèque, Aztèque, Toltèque, Chorotega, Cacaopera, Sutiaba, Nahuatl, Miskitu, Mayangna, Rama, Afro-descendants, Cabécars, Térrabas, Borucas, Huetares, Malekus, Ngäbe, Buglé, Guna, Emberá, Wounaan, Bri Bri, Naso Tjërdi, Bokota, Nahuapipil, Ch’orti, Lenca, Nahuas, Péch, Tawahka, Tolupán, Maya-Chortí, Garífuna, Xinka, Ladino.
Historiquement, notre région est un territoire de conflit permanent. Nous représentons plus de 12 % de la biodiversité de la planète en raison de notre situation géographique, de nos processus de résistance, des insurrections qui ont surgi dans plusieurs de ces territoires et des processus de lutte des peuples autochtones et paysans. En outre, il est important de comprendre que la région elle-même est déjà complexe par nature et que les conditions actuelles de profonde inégalité sont liées à des modèles de production basés sur le pillage et la spoliation des territoires et de leurs populations.
Un exemple clair de cela peut être trouvé dans les documents historiques. Depuis le XIXe siècle, l’activité productive de la région s’est organisée autour de l’agriculture d’exportation. On retrouve ici les principaux antécédents de la présence du capital des entreprises transnationales, soutenu par la surexploitation des terres et l’exploitation de la main-d’œuvre dans la région. Cette activité tournait principalement autour de la production de bananes, de café et de sucre.
Le capitalisme extractiviste comme instrument d’oppression
Il est important de mentionner qu’ici le capital a établi une alliance politico-économique avec la bourgeoisie de la région. Cette classe, formée de propriétaires fonciers, concentre non seulement dans son pouvoir la terre, du fait de l’exploitation du travail, mais aussi les différentes formes de répression et de criminalisation des secteurs autochtones et paysans. On peut citer l’exemple du Salvador, où la restructuration agraire, principalement basée sur l’expansion de la production de café, a impliqué une modification du modèle basé sur la gestion communale des terres, qui a disparu au profit des élites et des groupes de pouvoir. Avec le soutien des réformes agraires menées dans la région, la terre est passée de la propriété communale à la propriété privée, sur la base du « besoin d’investissement ». Ce fut un facteur fondamental dans le processus de révolte et de lutte populaires qui a conduit à la répression et à la criminalisation du peuple salvadorien.
Un autre cas est celui des monocultures de bananes. Le principal pays producteur et exportateur de la région était le Honduras. En conséquence de l’imposition de ce modèle, il y a les luttes que les paysans et les peuples autochtones ont dû mener pour défendre leur droit à la vie et à la terre. Le capital foncier finance non seulement les activités de production, mais aussi les unités armées de répression contre la population civile.
Les sociétés transnationales opèrent dans notre région depuis plus de deux siècles, suivant la logique de l’oppression et de l’accumulation des biens de nos peuples. Mais cette oppression ne se limite pas aux seules formes de production et de commerce, car elle est liée à l’expansion de l’impérialisme et à la création de conflits sociaux dans les territoires. C’est le cas des guerres qui ont eu lieu dans les années 1980 dans des pays comme le Nicaragua, le Salvador et le Guatemala, où les États-Unis ont joué un rôle décisif, à travers des conseils militaires et des financements pour le maintien de ces guerres, créées comme une stratégie de domination des peuples, pour arrêter les processus de revendications sociales pour l’accès à la terre, à une vie digne. C’était aussi une stratégie pour empêcher la « propagation du communisme ».
On estime qu’au Nicaragua, plus de 150 000 personnes ont perdu la vie à la suite de cette guerre. Dans le cas du Salvador, on estime qu’entre 1979 et 1992, plus de 75 000 personnes sont mortes à cause du conflit. Dans le cas du Guatemala, plus de 200 000 personnes sont mortes et environ 45 000 ont disparu. À cet égard, il est important de souligner la cruauté de la politique étrangère états-unienne. L’ampleur des actions menées par les forces militaires guatémaltèques contre les peuples autochtones de ce pays, avec le soutien des États-Unis, constitue un génocide.
La région est une zone qui a historiquement été criminalisée par les forces capitalistes locales et étrangères, soutenues par des appareils répressifs qui se sont toujours appuyés sur des conseils et des financements impérialistes. Dans les années 1990, ces territoires contestés ont été soumis à des mesures d’ajustement structurel, laissant la place à des modèles de privatisation et aux expressions les plus tangibles des politiques néolibérales.
Un des visages du néolibéralisme
À la fin des années 1980, le consensus de Washington est apparu, un ensemble de réformes de politique économique que les pays d’Amérique latine et des Caraïbes devraient suivre pour parvenir au « développement ». À cette fin, dix stratégies ont été définies pour être mises en œuvre : discipline budgétaire, réorganisation des priorités en matière de dépenses publiques, réforme fiscale, libéralisation financière des taux d’intérêt, régime de taux de change compétitif, libéralisation des échanges (antichambre des accords de libre-échange), libéralisation des investissements directs étrangers, privatisation des entreprises publiques, déréglementation du marché et des droits de propriété.
Ce contexte a marqué une ère de grands défis dans la région. Dans les années 1990, les bases ont été jetées pour la signature de l’accord de libre-échange (ALE) entre les États-Unis, l’Amérique centrale et la République dominicaine (CAFTA-DR), qui a été signé par tous les pays d’Amérique centrale entre 2003 et 2005. Cet accord couvrait quatre principaux domaines de mise en œuvre : les affaires institutionnelles et administratives, le commerce des biens, le commerce des services et des investissements, les marchés publics de biens et de services, entre autres.
Parmi les conséquences de cet accord commercial dans la région, on peut citer : l’aggravation des inégalités socio-économiques déjà existantes ; des réformes fiscales en faveur des « investisseurs » au détriment des droits des peuples ; des changements législatifs sur la propriété intellectuelle ; des réformes du droit du travail (précarisation de l’emploi) ; la répression des luttes pour les droits sociaux ; l’exploitation des territoires ; la montée des monopoles ; l’affaiblissement et la faillite des secteurs de petits producteurs nationaux.
C’est également à la fin des années 1990 qu’une autre menace a été révélée, connue sous le nom de Plano Puebla Panamá (PPP). Formellement, il a été présenté comme une proposition du gouvernement mexicain (représentant les intérêts du gouvernement des États-Unis) visant à promouvoir l’intégration de la région mésoaméricaine. Le plan consisterait en la construction d’un réseau d’infrastructures de transport et de communication, avec l’objectif supposé de promouvoir le « développement » économique et social de la région.
Cependant, le PPP faisait partie des stratégies de l’architecture impérialiste pour assurer le contrôle et l’exploitation des ressources naturelles stratégiques de notre région, ainsi que le contrôle de la dynamique territoriale des principales zones qui, dans toute la région, maintenaient un tissu organisationnel populaire. Ce contrôle constituait l’un des principaux objectifs de cette proposition.
Lorsque nous mettons en perspective les éléments partagés et faisons un parallèle avec la réalité que nous vivons aujourd’hui, en nous arrêtant pour analyser leurs causes structurelles, nous pouvons comprendre que les stratégies de libre-échange, d’expansion et d’approfondissement du modèle extractiviste ont une logique qui existe toujours : garantir le profit au détriment de la vie des gens. Actuellement, plus de 50 % de la population vit dans la pauvreté. En 2023, plus de 1,5 million de personnes dans la région ont dû migrer, dont 65 % avaient moins de 35 ans.
Cette logique est également soutenue par la criminalisation des personnes qui défendent les droits, une mesure qui cherche à protéger les investissements et à intimider les populations. Les données de Global Witness de septembre 2024 montrent qu’au Mexique, plus de 70 % du nombre de meurtres en 2023 concernaient des autochtones. La plupart des victimes luttaient contre l’exploitation minière sur leurs territoires. Au Honduras, 18 activistes défendant leurs territoires ont été assassinés.
Les luttes ne s’arrêtent pas
Dans toute la région mésoaméricaine, des organisations populaires se mobilisent dans divers territoires, car seule la mobilisation sociale permet de réaliser les transformations nécessaires pour construire un présent et un avenir dignes, avec justice et égalité pour les peuples.
Dans la région, il existe des secteurs divers et variés qui s’organisent sur la base d’intérêts ou de luttes communs, tels que le droit à la terre, le droit ancestral au territoire, le droit à un logement décent et sécurisé, le droit à la préservation de nos langues, le droit à l’eau, à une alimentation saine, à la défense de territoires libres de toute exploitation minière et de tout tourisme extractif, contre les barrages hydroélectriques, pour le droit à la production biologique, contre toutes les formes d’exploitation et contre toutes les formes de violence, contre le capitalisme impérial, contre le patriarcat, contre la militarisation, pour le droit et l’autonomie de nos corps, pour le droit des enfants, des adolescents et des jeunes à vivre à l’abri de toute forme de violence, d’exploitation et d’exclusion, pour le droit au coopérativisme, pour le droit à des médias alternatifs, pour le droit de construire d’autres formes de politique, pour le droit à une éducation libre et inclusive, pour la récupération de la mémoire et pour le bonheur des peuples.
Il y a sûrement beaucoup d’autres expressions de lutte qui n’ont pas été mentionnées dans ce texte. Cela fait partie de la diversité et de l’accumulation que nous avons construit au cours de l’histoire. Cela fait également partie de l’héritage que nos grands-mères nous ont laissé et fait partie de la mémoire qui coule dans nos veines, en tant que peuples qui se sont toujours battus, de l’aube au coucher du soleil, et que même au milieu de l’obscurité, nous continuons à rester debout.
Le Mouvement Populaire Mésoaméricain est un espace qui rassemble diverses expressions populaires de la région mésoaméricaine pour faire face aux menaces des accords de libre-échange.