Droits d’urgente considération : le peuple uruguayen devrait s’exprimer par référendum contre le néolibéralisme

18/03/2022 |

Par Radio Mundo Real

L'Uruguay a recours à un référendum pour abroger partiellement une loi adoptée en un temps record et qui affecte les droits fondamentaux

Edgardo Mattioli, Radio Mundo Real.

Le 8 juillet 2020, au milieu de la pandémie de COVID-19, le Sénat uruguayen a approuvé la loi nº 19.889, loi d’urgente considération (LUC), projet présenté par le gouvernement de coalition de droite, présidé par Luis Lacalle Pou. Le caractère d’« urgente considération » signifiait que le contenu de la loi devait être examiné dans un délai maximum de 90 jours entre les deux Chambres du Parlement. Au cours de cette période, de forts changements ont été approuvés dans les domaines de la sécurité et du renseignement, du logement, de l’éducation, de l’accès aux terres productives, du travail, de l’économie, des entreprises publiques, de la criminalisation du droit de grève et de manifestation.

La version originale de la LUC contenait 502 articles, modifiés seulement superficiellement au Sénat et à la Chambre des députés. La loi actuellement en vigueur, compte 476 articles. Les mouvements sociaux, les syndicats, les coopératives, les écologistes et les féministes, organisées et organisés au sein de l’Intersocial, ont analysé, avec le Front large, quels articles devraient être abrogés en priorité, car ils promeuvent une réforme substantielle du rôle de l’État et menacent l’exercice des droits.

La version originale de la LUC contenait 502 articles, modifiés seulement superficiellement au Sénat et à la Chambre des députés. La loi adoptée et actuellement en vigueur en compte 476. Mouvements sociaux, syndicats, coopératives, écologistes et féministes, organisées et organisés au sein de l’Intersocial, ont analysé avec le Front large quels articles devraient être abrogés en priorité, car ils représentent une réforme substantielle du rôle de l’État et menacent l’exercice des droits.

Ces secteurs ont décidé l’abrogation de 135 articles et ont organisé une forte campagne de collecte de signatures pour un référendum. Ils ont réalisé la prouesse de collecter près de 800 000 signatures pendant la pandémie et, par conséquent, le référendum aura finalement lieu le dimanche 27 mars, au cours duquel la population uruguayenne décidera de révoquer ou non ces 135 articles.

Ce texte rappelle les principaux arguments qui ont conduit au choix de l’abrogation de ces 135 articles. En outre, il reconstruit le processus d’articulation des organisations sociales qui a permis la collecte des signatures et, surtout, l’ouverture du débat avec la population et la demande de plus de temps pour mieux comprendre le contenu de cette loi qui a été approuvée en un temps record et qui affecte les droits fondamentaux de la population.

Prendre position

Douze jours après sa prise de fonction, le 13 mars 2020, Lacalle Pou a annoncé que la covid-19 était arrivée en Uruguay. Avec l’urgence sanitaire déclarée et sans quarantaine obligatoire, les décisions politiques concernant la pandémie seraient marquées par des appels néolibéraux à la « liberté responsable » et aux soins individuels. Les taux de chômage et de pauvreté ont augmenté rapidement, les cuisines et les cantines populaires se sont multipliées sur les places et dans les quartiers, et en l’absence de réponse de l’État, le tissu de l’organisation sociale a repris avec des articulations telles que l’Intersocial ainsi que des revendications pour le gouvernement.

L’Intersocial est composée de la centrale syndicale PIT-CNT, avec la Fédération des étudiants universitaires d’Uruguay (FEUU), la Fédération uruguayenne des coopératives d’habitation en aide mutuelle (FUCVAM), la REDES-Amis de la Terre, l’Intersocial féministe et au moins 20 autres organisations. Après plusieurs réunions hebdomadaires, un accord a été trouvé sur 12 demandes et propositions à présenter au gouvernement de Lacalle Pou, parmi lesquelles se distinguent un revenu d’urgence provisoire pour assurer un revenu minimum pour tous, le contrôle des prix des aliments du panier alimentaire de base et le soutien aux petites et moyennes entreprises touchées par la crise sanitaire et économique. L’Intersocial a été reprise comme un espace d’articulation, qui allait bientôt commencer à « prendre position » face au débat sur la LUC entamé par le Parlement.

Les organisations ont pu lire et analyser les 502 articles de la LUC un mois et demi avant l’adoption du projet de loi au Sénat. Malgré les difficultés, ils ont demandé des auditions devant la Commission parlementaire spéciale, qui n’a donné à chaque organisation que 15 minutes pour présenter les arguments contraires aux différents aspects couverts par la loi. En participant à ce mécanisme « nous démontrons la faible qualité de la discussion qui a eue lieu sur la LUC, en ne nous accordant que quelques minutes malgré la densité que ces discussions devraient avoir pour de telles décisions structurelles sur l’éducation, les règles fiscales, le blanchiment d’argent, la politique énergétique, la sécurité », explique Valeria Caggiano, porte-parole de l’Intersocial féministe.

Pour Tamara García, militante syndicale et féministe, le temps et la forme de cette loi « violent le processus démocratique ». « Le problème est la façon dont elle est légiférée et nous, en tant que citoyens, nous avons le droit d’intervenir et de manifester nos divergences dans tous les espaces, tous les jours », a-t-elle déclaré.

Une fois la LUC approuvée, prévoyant les conséquences qu’elle aurait, l’Intersocial a décidé de demander un référendum commun, acceptant le fait qu’« aucune force seule ne pouvait entreprendre la tâche de recueillir des signatures pour rendre possible cette procédure. Dès le départ, l’idée était de promouvoir ce mécanisme avec un processus d’articulation sociale forte », a souligné Caggiano.

Des organisations telles que REDES-AT et Nous Sommes le Quartier [Somos Bairro], avec le collectif Plus d’Égalité [Más igualdad] ont travaillé avec l’Intersocial féministe pour identifier les articles pour lesquels l’abrogation sera proposée, « sur la base de la compilation de ce que les organisations signalaient comme problématique au Parlement et dans l’opinion publique », a expliqué Natalia Carrau, membre des Amis de la Terre.

Dès que le mouvement social a accepté d’abroger 135 articles de la LUC, il a commencé l’odyssée en recueillant des signatures qui ont permis de faire appel à un référendum pour abroger la loi. Les pétitions pour le référendum étaient disponibles de maison en maison, de quartier en quartier, lors de foires de quartier, aux portes des comités de base et au siège des organisations. Les bases se sont mobilisées dans tout l’Uruguay à la recherche de signatures.

« En janvier 2021, nous avons atteint les 100 mille premières signatures et en mars, nous avons formé l’articulation « Les jeunes pour le référendum », a rappelé García, soulignant l’importance des jeunes dans la collecte des signatures. « Le temps passait et les signatures se multipliaient : « les gens sont tombés amoureux de cette cause, bien que la droite qui est au gouvernement pensait que la gauche du pays était morte » », explique Tamara.

L’articulation de la lutte contre la LUC a clairement montré qu’« ici personne n’est mort, personne ne dort », a déclaré García. « Nous sommes déterminées à créer de la résistance tant que nous avons des gouvernements qui promeuvent des mesures pour les grandes minorités et non pour les grandes majorités ». Avec la LUC, « il y a vraiment peu de familles et d’individus qui sont favorisés, mais ce sont de puissantes minorités », ajoute-t-elle.

Le référendum

Entre une signature et une autre, les activités dans les quartiers n’ont pas cessé d’avoir lieu : kiosques d’information, échanges, ateliers et présentations. Des milliers de personnes sont sorties se battre pour leurs droits. « Le vote est une autre forme de démocratie, mais la liberté d’expression, la mobilisation dans la rue, l’accès aux moyens de communications sont également des façons d’exercer la démocratie et d’être citoyenne et citoyen », a déclaré García.

Le 8 juillet 2021, près de 800 000 signatures ont été remises au Tribunal électoral, soit plus de 25% du nombre minimum requis pour pouvoir demander un référendum dans le pays. Ce vote est obligatoire et il est nécessaire d’avoir 50,01% de votes valides pour obtenir l’abrogation d’une loi. Dans ce cas, ceux qui choisissent de soutenir l’abrogation des 135 articles doivent voter « oui » et ceux qui souhaitent que la LUC demeure telle quelle doivent voter « non ».

Les 135 articles

La LUC « n’est pas populaire et ne donne pas plus de garanties de droits à la population ; c’est exactement le contraire et elle est basée sur la méconnaissance des citoyens, sur de la désinformation », a déclaré la syndicaliste. Elle a également déclaré que « le rôle qu’ont joué de nombreux médias ainsi que le gouvernement a été de ne pas informer clairement ou de le faire passer inaperçu et que les gens ne sachent pas pour quoi voter. »

Dès que le référendum a été approuvé, la Commission nationale pour le OUI a été formée, composée de plus d’une centaine d’organisations sociales et politiques.

Dans cette dernière partie de la campagne, l’Intersociale féministe continue de miser sur la transversalité de la perspective féministe dans la critique des 135 articles à abroger, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique et au droit au logement.

Car « lorsque les politiques publiques n’ont pas de perspective de genre, lorsqu’elles ne prennent pas en compte les impacts spécifiques, une vision « neutre » se met en place et qui, loin d’être anodine, augmente et ne combat pas les inégalités », a déclaré Caggiano.

En cas de critique d’articles relatifs à la sécurité, l’Intersociale féministe a averti dès le début que l’augmentation des sanctions pour le petit trafic de drogue aurait des conséquences immédiates sur la vie des femmes pauvres, « dont le rôle au sein des petits réseaux de trafic n’est pas une option, mais en raison de leurs propres conditions de précarité générale de vie ». Au cours de la première année de mise en œuvre de la LUC, la privation de liberté a augmenté de façon exponentielle et le nombre de femmes arrêtées pour petit trafic est passé de 30 % à 78 % de la population carcérale féminine totale.

« L’augmentation des peines est présentée comme une solution, mais en fait, elle aggrave la criminalisation de la pauvreté et affecte davantage les femmes et les enfants », a déclaré Caggiano. Alors qu’elle parcourt les quartiers les plus vulnérables pour faire campagne pour le OUI, la militante féministe affirme que les voisins sont inquiets de vivre dans une situation d’« insécurité permanente », de voir comment leurs enfants « sont vus et traités par les forces de sécurité de manière violente, en raison de leur prétendue « apparence criminelle », basée sur des préjugés du fait qu’ils sont jeunes, pauvres et noirs ». L’article 467 autorise la détention des personnes pour des « actes de comparution pénale » et son approbation n’est pas un détail mineur étant donné que l’Institution Nationale des Droits Humains (INDDHH) a proposé l’ouverture d’enquêtes en raison de l’augmentation des signalements d’abus policiers. Le Service de la paix et de la justice de l’Uruguay [Servicio de Paz y Justicia del Uruguay] a également exprimé sa préoccupation à ce sujet.

L’abrogation proposée comprend trois articles qui criminalisent la manifestation et limitent l’exercice de ce droit, ainsi que toute activité qui « perturbe la libre circulation », comme les blocages de rues et les concentrations dans les espaces publics, les institutions ou les lieux de travail. L’article 329 met le droit fondamental au travail libre sur un pied d’égalité avec le pouvoir de l’employeur de diriger son entreprise, ce qui permet finalement à celui-ci d’intimider et d’expulser de force les professions exercées par les travailleuses et travailleurs.

Dans le cas du logement, la LUC change les modalités de bail et laisse un régime sans garanties. Aux critiques du mouvement coopératif, les féministes ont ajouté le fait que ce changement dans les conditions d’accès au logement pourrait affecter davantage les familles monoparentales dirigées par des femmes, venues des secteurs économiques les plus précaires, avec les pires conditions salariales. Caggiano a souligné qu’il en allait de même pour les mesures fiscales telles que la libéralisation du mode de paiement, ce qui aggrave les conditions d’emploi précaires des travailleuses telles que les domestiques.

En ce qui concerne l’éducation, la LUC a modifié la Loi générale sur l’enseignement en Uruguay, en éliminant la participation sociale et en introduisant des logiques de privatisation et de marchandisation afin que les institutions deviennent des « prestataires de services » et forment des personnes opérationnelles pour le marché. Parmi les modifications, ce qui était autrefois le « Système National d’Éducation Publique » est devenu le « Système National d’Éducation ». Les conseils de la petite enfance, de l’enseignement fondamental, moyen, technique et professionnel sont supprimés et remplacés par des directives particulières ; en conséquence, il n’y a pas de participation des enseignants à la prise de décision. Un autre article élimine également la participation des élèves.

Dans le secteur agricole, la LUC apporte des modifications à l’Institut national de colonisation (INC), qui octroie des terres aux petits/es agriculteurs/trices. Elle supprime l’autorité de l’organisme sur plus de 100 000 hectares et modifie les exigences d’installation, éliminant l’obligation de résider sur le terrain. Cela signifie que la terre reste aux mains de personnes qui n’y vivent pas et n’y travaillent pas, ce qui profite au secteur agro-exportateur du pays.

Cette vidéo de REDES-Amis de la Terre Uruguay explique (en espagnol) les revers de la LUC dans les changements d’accès aux terres dans le pays.

Tamara García souligne l’objectif principal de la lutte : « nous voulons que les 135 articles de la LUC soient abrogés, mais ce que nous voulons fondamentalement, c’est pouvoir disposer d’espaces pour s’organiser et s’articuler avec l’ensemble du champ populaire, pour pouvoir générer un grand front de défense des lignes communes et pour que la population soit plus consciente de ce qui se passe et soit plus organisée. Et pour envoyer un message clair à la droite de notre pays : ce n’est pas comme ça qu’il faut légiférer et ils ne passeront pas au-dessus des grandes majorités ».

Édition de Tica Moreno
Traduit du portugais par Claire Laribe
Texte original en espagnol

 

 

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