Grand-mère He est née trois ans après la Révolution chinoise dans un village pauvre de la province du Guizhou dans le sud-ouest de la Chine. À l’époque, le pays était le 11ème plus pauvre du monde : seuls huit pays africains et deux pays asiatiques avaient un produit intérieur brut (PIB) par habitant inférieur. Un « siècle d’humiliation » aux mains de l’impérialisme européen et japonais et une guerre civile sanglante avaient transformé ce qui était la plus grande économie du monde au début du XIXème siècle en l’une des plus pauvres au moment de l’instauration de la République populaire de Chine (RPC) en 1949. Cette histoire a laissé des traces dévastatrices sur la vie des gens, en particulier des paysannes.
Quand Grand-mère He est née, l’espérance de vie était de 35 ans. Elle serait probablement soumise à un mariage forcé encore enfant et ne serait jamais alphabétisée. Cependant, tout au long de sa trajectoire, elle a vu doubler sa propre espérance de vie , l’alphabétisation des femmes est passée de moins de 10% à plus de 95% et les traditions féodales patriarcales ont été démantelées. L’une des premières lois promulguées en RPC fut la Loi sur le mariage de 1950, qui interdit les pratiques matrimoniales impliquant des enfants et des unions non enregistrées, interdit la polygamie des hommes et autorise le divorce.
Selon une enquête de The Lancet sur la santé des femmes en Chine dans les années 70 , « des déclarations comme « les femmes soutiennent la moitié du ciel » et « les enfants sont l’avenir et l’espoir de notre Terre Mère » ne sont pas seulement des recours rhétoriques : elles ont été mises en pratique de manière cohérente. » Pour donner un exemple, l’étude met en lumière les progrès réalisés dans la réduction de la mortalité maternelle : de 1 500 cas pour 100 mille naissances en 1949, ce taux est tombé à 17,8 en 2019. À titre de comparaison, au cours de la même période, la mortalité maternelle au Brésil est passée de 370 à 60 et en Inde, de 1 000 à 145 pour 100 mille naissances. En d’autres termes, avec un coefficient de mortalité maternelle beaucoup plus élevé au début de la série historique, la Chine a réussi, en sept décennies, à abaisser cet indicateur à moins d’un tiers du taux brésilien et à l’équivalent d’un huitième des chiffres de l’Inde. En parlant des conquêtes impressionnantes en matière de santé maternelle et reproductive des femmes ainsi que de la santé des nouveau-nés, des enfants et des adolescents, The Lancetcite une « forte volonté politique » et des « progrès en matière d’égalité des genres » comme facteurs essentiels de ce succès. Et il y a peu d’endroits où cette tendance est plus évidente que dans la lutte contre la pauvreté.
Le 25 février 2021, la Chine a annoncé que l’extrême pauvreté de ce pays de 1,4 milliard d’habitants avait été éradiquée durant ces sept décennies. Au cours des 40 dernières années, la Chine a fait sortir 850 millions de personnes de la pauvreté. Ce nombre équivaut à la quasi-totalité de la population d’Amérique latine, des Caraïbes et d’un Brésil de plus, ce qui a contribué à réduire l’indice mondial de pauvreté de 76%. Cette réussite historique est encore plus impressionnante à un moment où il y a une importante pandémie provocant la première augmentation de l’indice mondial de pauvreté humaine depuis 1998, en particulier dans les pays du sud global. Grand-Mère He et sa famille font partie des derniers 98,99 millions de personnes à quitter l’extrême pauvreté en Chine, la moitié étant des femmes.
Comprenant le processus des efforts de la Chine pour réduire la pauvreté dans le pays, Tricontinental : Institut de Recherche sociale a lancé l’étude Au service du peuple :éradication de l’extrême pauvreté en Chine, qui s’est appuyé sur la littérature académique et des articles publiés dans la presse, sur des interviews d’experts et des recherches de terrain dans la province du Guizhou, dans le sud-ouest du pays. L’étude, disponible en anglais, espagnol et portugais, a conclu qu’en premier lieu, la Chine s’appuyait sur une approche multidimensionnelle pour éradiquer la pauvreté, plutôt que de miser sur des programmes de transferts sociaux. Deuxièmement, la force de la campagne se trouve dans les efforts de construction du parti, en particulier avec le soutien populaire sur le terrain. Troisièmement, le gouvernement chinois a démontré sa capacité à mobiliser toute la société et ses ressources. Quatrièmement, le programme a donné une place centrale au rôle de la population paysanne pauvre qui a été sortie – et s’est sortie – de la pauvreté, en tant que protagoniste du processus. Enfin, l’éradication de l’extrême pauvreté n’est pas considérée comme un objectif ultime, mais comme une étape importante de la construction du socialisme. Après tout, la pauvreté est un problème de la lutte des classes.
« On ne lance pas une grenade pour atteindre une puce »
Lorsque Xi Jinping a pris la présidence en 2013, le « programme ciblé de lutte contre la pauvreté » (PLCP) est devenu la stratégie nationale destinée à atteindre les poches de pauvreté les plus difficiles, qui n’ont pas bénéficié du développement économique des décennies précédentes . « On ne lance pas une grenade pour atteindre une puce », a déclaré Xi, reconnaissant que pour lutter contre la pauvreté, le gouvernement devrait localiser avec précision chaque famille pauvre et élaborer un plan pour les sortir de cette situation. Tout au long de l’exécution du programme, 246 milliards d’US$ ont été dépensés pour construire 1,1 million de kilomètres de routes dans les campagnes, fournir un accès à Internet à 98% des villages pauvres du pays, réformer la maison de 25,68 millions de personnes et construire de nouvelles maisons pour 9,6 millions de personnes supplémentaires. Fin 2020, les 98,99 millions de personnes encore dans l’extrême pauvreté dans 832 comtés et 128 mille villages ont réussi à en sortir.
Le programme a été mené par une politique centrale qui propose : un revenu, deux assurances et trois garanties. En Chine, le seuil de pauvreté est fixé à 2,3 US$ par jour (en parité de pouvoir d’achat – PPA), base supérieure à la norme de 1,90 US$ par jour établie par la Banque Mondiale. En plus des revenus, le PLCP parie également sur « deux assurances », de nourriture et de vêtements, et « trois garanties » en services médicaux de base, un logement sûr avec électricité et eau potable et une éducation publique obligatoire. En d’autres termes, la Chine a adopté une approche multidimensionnelle de la lutte contre la pauvreté, guidée par un revenu minimum tout en offrant aux pauvres des zones rurales les éléments essentiels que sont l’alimentation, l’éducation, le logement et les soins de santé.
Être au cœur du peuple comme un poisson dans l’eau
La mobilisation des cadres du parti est essentielle à la lutte contre la pauvreté. En 2014, 800 000 cadres ont été organisés pour faire du porte-à-porte dans des millions de foyers dans 128 000 établissements à travers le pays. Leur tâche consistait à identifier chaque famille qui serait inscrite au programme national, en fonction du revenu, du niveau de scolarité, des conditions de logement et de l’accès aux soins. La base de données nationale de 100 millions de personnes a été créée pour aider à la planification et à la mise en œuvre de programmes pour chacune d’elles.
La Fédération Nationale des Femmes de Chine (FNMC), organisation féminine de masse dirigée par le Parti communiste chinois (PCC), a joué un rôle clé dans l’intégration des luttes des paysannes dans la structure et les pratiques du PLCP. Par exemple, une étude de 2010 a conclu que parmi les travailleuses, les femmes des comtés les plus pauvres avaient des taux de pauvreté (9,8%) et d’analphabétisme (15,7%) plus élevés que les hommes, et avaient moins accès à une formation technique et à une participation sociale. La FNMC faisait non seulement partie des principaux organes gouvernementaux du pays à la tête du PLCP, mais organisait également le travail de base via Internet et dans les territoires, avec une action allant de la création de 900 000 groupes de « compagnes » sur WeChat (similaires à ceux de WhatsApp) aux 641 291 organisations populaires dans les villagesde tout le pays. En plus de l’identification, trois millions de cadres soigneusement sélectionnés ont été envoyés vivre sur le terrain pendant des années, formant 255 mille équipes résidentes. Une équipe par village, un cadre par famille. Aux côtés de la population, un processus « d’évaluation démocratique » a été mené, au cours duquel les membres de la communauté ont débattu et voté sur des questions liées à la situation de pauvreté de chaque famille : qui devrait être enregistré comme pauvre, qui a été sorti de la pauvreté, et parfois, qui y est revenu. Il y eu un niveau élevé de décentralisation, d’improvisation et de démocratie populaire en action. Les conditions étaient difficiles et 1 800 cadres ont perdu la vie dans ce processus.
Front Uni Contre La Misère
En plus de cultiver le Parti et le soutien populaire, la campagne a mobilisé des secteurs plus larges de la société en un « front uni » contre la pauvreté, y compris les secteurs public, privé et civil de la société. Les cinq principales méthodes de lutte contre la pauvreté étaient les suivantes : développer l’industrie, encourager la compensation écologique, assurer une scolarisation gratuite, de qualité et obligatoire, promouvoir la réinstallation et offrir une assistance sociale. Le mécanisme principal est le développement de l’industrie, c’est-à-dire le développement de la capacité de production et, en particulier, la production agricole modernisée. La deuxième méthode était la compensation écologique, avec la création d’emplois liés aux travaux de plantation de nouvelles forêts, la récupération des terres arables et la restauration des zones victimes de l’hyperexploitation. Troisièmement, parmi les mesures visant à améliorer la qualité de l’enseignement figurent la construction de nouvelles écoles, la formation des enseignants et l’offre de grandes incitations financières aux étudiants de familles paysannes ou pauvres pour accéder à l’Université. Par conséquent, entre 2011 et 2018, 70% des étudiants universitaires chinois inscrits en première année étaient les premiers de leur famille à entrer dans l’enseignement supérieur, et 70% étaient d’origine paysanne. En 2020, la Chine était déjà le premier pays au monde en nombre de femmes inscrites dans l’enseignement supérieur, selon le Rapport Mondial Sur les Inégalités Entre Les Sexes du Forum Économique Mondial.
Pour ceux qui vivent dans des régions extrêmement reculées ou sujettes à des catastrophes, il est presque impossible de briser le cycle de la pauvreté sans déménager. Moins de 10% des personnes qui ont réussi à sortir de la pauvreté l’ont fait en s’installant dans d’autres régions. En dernier recours, la Chine a construit de nouvelles maisons (gratuites, meublées et situées dans des communautés avec des écoles et des centres de santé) pour 9,6 millions de personnes participant au programme. Enfin, en particulier pour ceux qui sont incapables de travailler, comme les personnes âgées ou les personnes handicapées, la dernière méthode de lutte contre la pauvreté adoptée était l’assistance sociale.
Le PLCP faisait partie du déploiement du Programme national pour le développement des femmes (2011-2020), qui a donné la priorité aux femmes dans l’accès aux ressources et aux aides, tels que l’accès à la santé, les prêts de microcrédit et la formation professionnelle. Au total, 10,21 millions de femmes inscrites au PLCP ont eu accès à des cours de formation, dont plus de 5 millions de travailleuses de l’agriculture et de l’élevage, de l’artisanat, du tourisme et du marché électronique. Les prêts de microcrédit ont aidé 8,7 millions de femmes à créer leur propre entreprise. Le dépistage gratuit du cancer du sein et du col de l’utérus a été étendu à toutes les populations pauvres inscrites au programme, dans le but de réduire les taux de pauvreté engendrée par la maladie, tandis qu’environ 640 millions de US$ ont été investis dans les infrastructures, les assurances maladie et les besoins quotidiens de 50 millions de mères pauvres.
Le protagonisme de la population pauvre
Comme beaucoup d’autres paysannes pauvres, He Ying, fille de Grand-mère He, était une travailleuse migrante dans une autre province. Pendant une décennie, son fils est resté dans le village sous la garde de Grand-mère He, He Ying ne pouvant leur rendre visite qu’une fois par an. Lorsqu’elle est tombée enceinte de son deuxième enfant, He Ying a choisi de s’inscrire au programme gouvernemental de lutte contre la pauvreté et a déménagé dans la nouvelle communauté de Wangjia, malgré l’opposition initiale de sa mère, de son père et de sa belle-mère. Le processus de déménagement dans un lieu encore inconnu est difficile pour de nombreuses personnes âgées qui ne connaissent pas autre chose au-delà de leur propre territoire.
Cependant, étant une personne pauvre participant au processus de réinstallation, pour sortir sa propre famille de la pauvreté, He a rejoint le PCC. Aujourd’hui, elle fait partie des 12 cadres de la communauté relocalisée de Wangjia, répondant aux besoins quotidiens de 18 000 résidents relocalisés. En tant que présidente du directoire local de la FNMC, He Ying aide à renforcer la confiance des paysannes qui ont récemment migré pour surmonter les nombreux défis auxquels elles sont confrontées. De son expérience personnelle, elle reconnaît la difficulté que beaucoup de gens ont dans la transition entre le village et la ville. Au cours des premiers mois de la réinstallation, le mari de He Ying est devenu de plus en plus contrarié par la nouvelle indépendance des femmes en tant que leaders.
« J’ai dit [aux femmes du territoire] que les femmes peuvent supporter la moitié du ciel », a déclaré HeYing. « Si elles travaillaient, elles auraient plus de respect pour leurs maris et allégeraient le fardeau [financier] des familles. » Les dix personnes de la famille de He Ying vivaient ensemble dans une maison de 80 mètres carrés. Aujourd’hui, elles sont réparties entre trois appartements spacieux d’un total de 200 mètres carrés, dans une communauté avec trois centres de santé communautaires, des crèches bien structurées et avec un bon personnel, une école primaire et un collège. Avant, elle devait marcher deux heures pour aller chercher le plus jeune à l’école, mais maintenant ce trajet prend cinq minutes.
Le fils aîné de He Ying, qu’elle a dû laisser aux soins de sa mère lorsqu’elle a migré pour travailler, suit maintenant un cours de technicien ascensoriste dans la ville. « Il y a 64 ascenseurs dans cette communauté », explique He Ying. « J’espère que lorsqu’il aura obtenu son diplôme, il reviendra travailler dans notre communauté pour servir aussi les gens. »
L’extrême pauvreté en Chine a été surmontée dans une dimension et à une échelle encore jamais vues dans l’histoire. Au lieu d’être un point final, ce n’est qu’une phase de la construction du socialisme, qui doit être approfondie et élargie. Pour assurer la prospérité dans les campagnes, le gouvernement chinois a mis en œuvre un programme de revitalisation rurale visant à consolider et à étendre les avancées en matière de lutte contre la pauvreté. De nombreux défis attendent les paysannes, notamment la lutte contre les valeurs patriarcales et la promotion de l’égalité de genre, l’augmentation de la participation des femmes rurales au marché du travail, la réduction de l’exclusion numérique et de l’enseignement technique pour les femmes, ainsi que l’augmentation de la fourniture de services de soins aux enfants et aux personnes âgées.
Le succès d’un programme national de l’ampleur du PLCP ne doit pas être mesuré uniquement par des chiffres abstraits, mais par rapport à la vie de paysannes pauvres, comme He Ying. L’étude visait à présenter certaines des expériences et des histoires, à la fois des personnes qui sont sorties de la pauvreté et de celles qui ont aidé dans ce processus. Construire un monde où la pauvreté est éradiquée est essentiel à la construction du socialisme. Pouvoir étudier, avoir un toit, manger convenablement et profiter de la culture sont des désirs communs aux classes populaires et aux femmes pauvres du monde entier. Ce sont des aspects qui font partie du processus pour devenir humaine.
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Tings Chak est chercheuse et coordinatrice du département d’art de Tricontinental : Institut de Recherche Sociale et fondatrice de Dongsheng News. Chercheuse et auteure principale de Au service du peuple : l’éradication de l’extrême pauvreté en Chine. Elle vit et travaille à Shanghai.