De l’articulation des femmes de Via Campesina, je tiens à saluer et à remercier cette occasion de proposer quelques idées qui peuvent être intéressantes pour le travail effectué au niveau mondial concernant le féminisme paysan et populaire et ces grands défis auxquels nous sommes confrontées.
Le processus auquel nous contribuons est basé sur l’apprentissage du sens du féminisme paysan et populaire. Connaissant ce sens, nous aurons la clarté de l’histoire que nous, les femmes, sommes en train de délimiter dans le milieu rural, en particulier les femmes de l’articulation de Via Campesina. C’est une façon d’être consciente et de pouvoir rendre visible notre façon de penser, nos savoirs, les pratiques que nous menons dans la vie quotidienne, nos émotions. La pandémie est arrivée et a réveillé en nous la conscience que les émotions sont très importantes dans nos vies, en particulier les expériences que nous avons dans les territoires. Faire ressortir nos pensées, nos pratiques, nos émotions et nos expériences nous aide à renouveler notre espoir de pouvoir construire un monde meilleur.
Il est important de voir clair qu’il y a beaucoup de femmes qui construisent des manières d’être dans le monde, d’entrer en relation avec la vie et aussi de se rapporter à la nature. Pour les femmes des zones rurales, cette relation avec la nature et la terre mère est fondamentale. Nous sommes les protagonistes de la construction de la souveraineté alimentaire à travers l’agroécologie, qui est un outil substantiel pour la vie, car notre travail part de l’harmonie avec la terre mère.
Le féminisme paysan et populaire est une proposition que nous construisons de manière organique, à partir des bases, pour transformer cette réalité d’inégalités dans lesquelles nous vivons. Ainsi, nous construisons et créons une communication vitale avec le sens de la vie et avec le sens de notre entourage. Nous, les femmes, sommes conscientes de notre présence dans ce monde et de la façon dont notre environnement nous affecte directement. Sophie Dowllar a déjà raconté comment la pandémie affecte directement la vie des femmes. Il y a, globalement, une situation qui rend la vie plus difficile pour tous les humains, et encore plus difficile pour les femmes.
Un autre aspect important est l’identité des femmes rurales. Nous discutons du fait qu’il existe de nombreux programmes et stratégies qui nous désignent pratiquement sous d’autres noms : « femmes entrepreneures », femmes sous d’autres aspects qui ne correspondent pas à notre identité de femmes rurales. Nous sommes des femmes qui produisent la terre, nous sommes des femmes pêcheuses, nous sommes des femmes travailleuses dans les zones rurales. Nous disons que notre identité est aussi la lutte pour l’émancipation.
Dans Via Campesina, nous faisons la différence en connaissant notre trajectoire et en réalisant comment elle contribue à changer la réalité des femmes dans les zones rurales. Il suffit de se rappeler que beaucoup de femmes de Via Campesina ont une vie politique dans des organisations mixtes dans lesquelles il y a des hommes et des femmes. Nous sommes confrontées à l’énorme défi de changer les relations de pouvoir et de travailler dur pour transformer notre réalité, non seulement sur le plan organique, mais aussi sur le plan familial, social, politique et économique.
Nous, les femmes, apportons une contribution substantielle à la vie, et cela est peu reconnu. Nous travaillons également dans la lutte contre la violence, car, dans les zones rurales, jour après jour, la violence contre les femmes augmente, une violence pour les dominer et les subordonner. Nous devons trouver des moyens de nous « acuerparnos »[1] entre les femmes pour pouvoir transformer cette réalité. La lutte contre le capitalisme fait la différence, car nous savons que le capitalisme et le patriarcat sont un binôme qui travaille pour accumuler le capital.
Il est nécessaire d’entreprendre une rupture contre ces formes capitalistes et de favoriser les rencontres avec notre culture, notre vision du monde des peuples autochtones. Cela marque également notre identité dans la défense de la lutte pour la terre, comprenant la terre comme une ressource importante pour garantir la souveraineté alimentaire et la vie des femmes, en particulier dans le domaine de la production.
Aujourd’hui, plus que jamais, la production alimentaire est stratégique. Le milieu rural contribue beaucoup à faire face à la pandémie, car s’il y a de la production dans les champs, il y a de la nourriture. Et donc la vie est également garantie. Il convient de noter que le féminisme a été stratégique dans la vie des femmes et dans la lutte pour la terre et le territoire. L’usurpation, le pillage et l’accumulation de terres ont directement violé la vie des femmes dans le monde rural. Le féminisme paysan et populaire, en tant qu’engagement politique des femmes rurales, devient beaucoup plus stratégique dans ces moments où nous devons trouver de nouveaux moyens pour vivre, dans la relation avec les semences, avec la biodiversité, avec la question de la médecine traditionnelle.
Pour lutter contre la pandémie, nous travaillons intensivement avec la médecine traditionnelle dans les zones rurales, où nous savons que les alternatives à la médecine deviennent plus complexes. Ainsi, nous contribuons à la défense de la terre et de nos corps.
Un autre défi important du féminisme paysan et populaire est de trouver des formes plus collectives d’organisation et de fonctionnement. Notre lutte collective trouve les moyens de renforcer la lutte des femmes en général et dans les zones rurales en particulier. Il y a un vieux monde à déconstruire et nous avons aussi dans nos mains un nouveau monde à construire. Nous croyons que les alliances nous donneront l’occasion de construire ce nouveau monde.
En résumé, le féminisme paysan et populaire en tant que proposition politique – basée sur la reconnaissance de nos territoires et aussi sur le sauvetage de notre façon de penser, de nos savoirs, de nos connaissances ancestrales – pose le défi d’atteindre la justice sociale, de continuer à lutter contre ce système inégal. Nous avons la possibilité de reconstruire les identités en tant que mécanismes de résistance pour la durabilité de la vie et pour le bien vivre. Nous avons l’énorme défi de continuer à transformer l’inégalité des sexes, mais nous avons aussi la possibilité de construire et de reconstruire cet acuerpamiento entre les femmes pour trouver une véritable sororité, la solidarité la plus stratégique en ce moment.
Yolanda Áreas Blass est coordinatrice du secteur des femmes de l’Asociación de Trabajadores des Campo de Nicaragua (Association Nicaraguayenne des Travailleurs Ruraux – ATC) et fait partie de la Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo de la Vía Campesina (Coordination Latino-américaine des Organisations Rurales de Via Campesina – CLOC-VC).
Ce texte est une édition de la contribution de Yolanda au webinaire de la Marche Mondiale des Femmes, « Défis du féminisme populaire », qui a eu lieu le 23 février 2021.
[1] Terme espagnol utilisé pour désigner le soutien mutuel – personnel et politique – entre les femmes, inventé principalement par le féminisme communautaire autochtone.